Entretien avec Rundisc
De par son principe humaniste et sa radicalité graphique, Chants of Sennaar est déjà un jeu unique. Nous avions donc très envie d'interroger ses créateurs pour découvrir plus en détails le développement de ce puzzle game où les langues jouent un rôle clé. Les cofondateurs de Rundisc, Julien Moya et Thomas Panuel ont gentiment accepté de répondre à nos questions.
"Les langues de Chants of Sennaar sont avant tout des langues de fantasy."
Sennaar ? Shinar, non ?
RundiscComme tous les lieux enterrés sous des millénaires d'Histoire, et encore plus lorsqu'ils ont une portée légendaire, il existe plusieurs noms pour désigner cette plaine mésopotamienne où se serait peut-être, selon les mythes, dressée la Tour de Babel. En l'occurrence, Sennaar est le nom grec de Shinar, qu'on peut aussi trouver orthographiée Šinʿar, Shinéar ou Schinéar, entre autres.
Quoi qu'il en soit, notre jeu n'a absolument aucune prétention de vérité historique. Nous l'avons totalement conçu comme un jeu de fantasy, et toutes les libertés sont donc permises avec son univers. Même si, comme c'est souvent rappelé, notre jeu s'inspire en partie de la Tour de Babel, c'est uniquement pour son aspect mythologique et symbolique. Il n'y a notamment aucune affiliation biblique ou religieuse dans Chants of Sennaar, même si la religion fait partie des thèmes qui y sont évoqués.
Quoi qu'il en soit, notre jeu n'a absolument aucune prétention de vérité historique. Nous l'avons totalement conçu comme un jeu de fantasy, et toutes les libertés sont donc permises avec son univers. Même si, comme c'est souvent rappelé, notre jeu s'inspire en partie de la Tour de Babel, c'est uniquement pour son aspect mythologique et symbolique. Il n'y a notamment aucune affiliation biblique ou religieuse dans Chants of Sennaar, même si la religion fait partie des thèmes qui y sont évoqués.
Ce sont d'anciennes langues qui ont servi de base aux glyphes du jeu. Pouvez-vous nous dire lesquelles et les raisons de ces choix ?
RundiscTrop entrer dans le détail pourrait spoiler le jeu, donc je ne ferai pas une liste exhaustive des langues qui nous ont inspirés, mais je peux détailler un peu la méthode. Dans Chants of Sennaar, chaque peuple dispose de son histoire, de ses coutumes, de son architecture, en bref de sa culture propre, qui devait également se retrouver incarnée dans son écriture. Une langue, c'est la voix d'un peuple : sa graphie mais aussi sa grammaire et son vocabulaire sont déjà des informations sur ceux qui l'ont créée. Bien que les dialectes rencontrés dans Chants of Sennaar ne soient que des symboles de langues – on ne peut pas aller beaucoup plus loin avec seulement 40 glyphes par idiome – on les a construits de cette manière, en partant du peuple concerné.
Par exemple, le peuple des Dévots, qui vit au pied de la Tour, est principalement inspiré des cultures monothéistes de l'Antiquité méditerranéenne. Visuellement, leur alphabet est donc une sorte de fusion des alphabets latin et phénicien, avec un petit côté cunéiforme rappelant un passé encore plus lointain. Par ailleurs comme il s'agit d'un peuple de fervents croyants, leur vocabulaire lui-même tourne beaucoup autour de notions relatives à leur foi. À d'autres étages, on pourra trouver un peuple de Guerriers à l'écriture inspirée du futhark nordique et parlant une langue assez brutale et essentiellement impérative, ou bien des esthètes indolents dont la calligraphie élégante, centrée sur la poésie et la musique, rappelle un croisement de sanskrit et d'arabe.
Au-delà de l'aspect et du vocabulaire, ces langues possèdent aussi des grammaires qui leur sont propres, avec de petites subtilités dans la façon d'agencer les mots, de compter ou d'exprimer certains concepts ; mais ça, ce sera au joueur de le découvrir. Tout dans notre jeu est un peu construit sur cette idée de fusion, ce qui a nécessité beaucoup de documentation, même si, sur ce plan encore, nous n'avons aucune prétention scientifique ou linguistique : comme le reste, des langues de Chants of Sennaar sont avant tout des langues de fantasy.
Par exemple, le peuple des Dévots, qui vit au pied de la Tour, est principalement inspiré des cultures monothéistes de l'Antiquité méditerranéenne. Visuellement, leur alphabet est donc une sorte de fusion des alphabets latin et phénicien, avec un petit côté cunéiforme rappelant un passé encore plus lointain. Par ailleurs comme il s'agit d'un peuple de fervents croyants, leur vocabulaire lui-même tourne beaucoup autour de notions relatives à leur foi. À d'autres étages, on pourra trouver un peuple de Guerriers à l'écriture inspirée du futhark nordique et parlant une langue assez brutale et essentiellement impérative, ou bien des esthètes indolents dont la calligraphie élégante, centrée sur la poésie et la musique, rappelle un croisement de sanskrit et d'arabe.
Au-delà de l'aspect et du vocabulaire, ces langues possèdent aussi des grammaires qui leur sont propres, avec de petites subtilités dans la façon d'agencer les mots, de compter ou d'exprimer certains concepts ; mais ça, ce sera au joueur de le découvrir. Tout dans notre jeu est un peu construit sur cette idée de fusion, ce qui a nécessité beaucoup de documentation, même si, sur ce plan encore, nous n'avons aucune prétention scientifique ou linguistique : comme le reste, des langues de Chants of Sennaar sont avant tout des langues de fantasy.
"C'est la philosophie générale d'Outer Wilds qui nous a le plus inspirés."
Quelle expérience ou quels jeux vous ont inspirés pour Chants of Sennaar ?
RundiscBeaucoup de jeux – et encore plus d'œuvres de fiction – nous ont inspirés tout au long du projet, même si certaines références sont bien trop évidentes pour que je me dispense de les citer.
Il y a bien sûr Heaven's Vault, dont l'idée principale d'un jeu basé sur le déchiffrage d'une langue inconnue est tombée à point nommé alors que nous avions déjà commencé à mettre en place notre concept de jeu. Nous en avons capturé l'essence et avons ensuite cherché à la modifier et à l'enrichir : au lieu d'une seule langue morte, nous avons voulu développer plusieurs langues vivantes interconnectées, qui ne s'apprendraient plus seulement par l'étude de textes oubliés, mais surtout par l'observation d'un contexte et l'interaction avec des personnages.
Ensuite, notre système de validation rappellera sûrement Return of the Obra Dinn aux amateurs de puzzle games. Cette idée – qu'on a depuis retrouvée dans The Case of the Golden Idol sous une autre forme – nous a permis d'introduire une mécanique à même de contrôler un minimum l'expérience du joueur, en s'assurant qu'il en apprend assez lorsque c'est nécessaire, et ne se retrouve pas complètement perdu.
Mais c'est peut-être, avant même ces concepts spécifiques, la philosophie générale d'Outer Wilds qui nous a le plus inspirés. Nous sommes tous les deux des grands fans de ce jeu et de sa façon si moderne de tout faire reposer sur l'observation et la déduction logique, avec des contenus toujours justifiés par l'histoire et le scénario du jeu. Dans Chants of Sennaar, nous avons gardé cette approche « holistique » : tout dans les lieux que vous traversez a une bonne raison d'être là. Chaque personnage, chaque inscription, chaque objet était là avant vous, pour d'autres raisons que de vous être utile, et c'est à vous de comprendre comment tirer parti de cet environnement pour apprendre et progresser.
Il y a bien sûr Heaven's Vault, dont l'idée principale d'un jeu basé sur le déchiffrage d'une langue inconnue est tombée à point nommé alors que nous avions déjà commencé à mettre en place notre concept de jeu. Nous en avons capturé l'essence et avons ensuite cherché à la modifier et à l'enrichir : au lieu d'une seule langue morte, nous avons voulu développer plusieurs langues vivantes interconnectées, qui ne s'apprendraient plus seulement par l'étude de textes oubliés, mais surtout par l'observation d'un contexte et l'interaction avec des personnages.
Ensuite, notre système de validation rappellera sûrement Return of the Obra Dinn aux amateurs de puzzle games. Cette idée – qu'on a depuis retrouvée dans The Case of the Golden Idol sous une autre forme – nous a permis d'introduire une mécanique à même de contrôler un minimum l'expérience du joueur, en s'assurant qu'il en apprend assez lorsque c'est nécessaire, et ne se retrouve pas complètement perdu.
Mais c'est peut-être, avant même ces concepts spécifiques, la philosophie générale d'Outer Wilds qui nous a le plus inspirés. Nous sommes tous les deux des grands fans de ce jeu et de sa façon si moderne de tout faire reposer sur l'observation et la déduction logique, avec des contenus toujours justifiés par l'histoire et le scénario du jeu. Dans Chants of Sennaar, nous avons gardé cette approche « holistique » : tout dans les lieux que vous traversez a une bonne raison d'être là. Chaque personnage, chaque inscription, chaque objet était là avant vous, pour d'autres raisons que de vous être utile, et c'est à vous de comprendre comment tirer parti de cet environnement pour apprendre et progresser.
À un certain moment du jeu, vous diffusez un extrait de votre jeu précédent. Pourquoi ce clin d'œil ?
RundiscCe n'est que ça : un petit clin d'œil. Il y a d'autres secrets cachés dans le jeu, bien plus profondément que celui-ci, et peut-être plus intéressants aussi... Nous verrons si les joueurs les trouvent.
"Notre jeu précédent était une mise à l’épreuve de notre capacité à aller jusqu’au bout."
Avec Chants of Sennaar et ses énigmes, nous sommes justement bien loin de l'ambiance arcade de Varion. Comment avez-vous abordé cette nouvelle direction ? Et en quoi l'expérience emmagasinée sur Varion vous a nourris pour Chants of Sennaar ?
RundiscVarion était effectivement notre premier jeu. Comme souvent dans ce genre de cas, il a été l'occasion pour nous d'apprendre énormément, sur les plans techniques ou conceptuels notamment, et de commencer à développer une méthode de travail. Mais c'était surtout une bonne façon de mettre à l'épreuve notre capacité à aller jusqu'au bout : dans le jeu vidéo, avoir des idées, commencer un projet, matérialiser un prototype, c'est assez facile. Mener une production à terme, transformer le prototype en vrai produit fini, en polir tous les aspects et le shipper sur une ou plusieurs plateformes dans un état qui respecte les standards attendus, c'est une toute autre affaire.
Même si Varion n'était qu'un « hobby », nous avons tous les deux tenu à aller jusqu'au bout de la démarche, comme des professionnels, et nous avons fini par le sortir sur PC et Switch, puis à publier un update. Le jeu n'a pas été un succès commercial, mais sans support marketing on ne s'y attendait pas vraiment de toute façon, ce n'était pas le but. Nous cherchions avant tout à nous faire plaisir et à gagner de l'expérience. Par ailleurs il nous semble évident que la concrétisation de ce projet a fortement contribué à nous donner la crédibilité nécessaire pour être pris au sérieux par Focus Entertainement, malgré la taille minuscule de notre studio, et pour les convaincre de nous rejoindre sur Chants of Sennaar.
Varion était donc presque un « entraînement », même si on reste assez fiers du jeu lui-même et de sa qualité objective. Nous avions choisi de développer un jeu d'action multi-local car c'est ce qui nous paraissait le plus simple alors : pas de narration, pas de scénario, un gameplay qui se crée « tout seul » grâce aux joueurs qui s'affrontent... Avec Chants of Sennaar, c'est différent : c'est le jeu que nous voulions réellement faire, celui auquel nous aurions voulu jouer. Avec l'expérience Varion, nous avions gagné suffisamment en confiance pour nous considérer capables d'enfin aborder le défi d'une aventure narrative et d'aller – une fois encore – jusqu'au bout.
Même si Varion n'était qu'un « hobby », nous avons tous les deux tenu à aller jusqu'au bout de la démarche, comme des professionnels, et nous avons fini par le sortir sur PC et Switch, puis à publier un update. Le jeu n'a pas été un succès commercial, mais sans support marketing on ne s'y attendait pas vraiment de toute façon, ce n'était pas le but. Nous cherchions avant tout à nous faire plaisir et à gagner de l'expérience. Par ailleurs il nous semble évident que la concrétisation de ce projet a fortement contribué à nous donner la crédibilité nécessaire pour être pris au sérieux par Focus Entertainement, malgré la taille minuscule de notre studio, et pour les convaincre de nous rejoindre sur Chants of Sennaar.
Varion était donc presque un « entraînement », même si on reste assez fiers du jeu lui-même et de sa qualité objective. Nous avions choisi de développer un jeu d'action multi-local car c'est ce qui nous paraissait le plus simple alors : pas de narration, pas de scénario, un gameplay qui se crée « tout seul » grâce aux joueurs qui s'affrontent... Avec Chants of Sennaar, c'est différent : c'est le jeu que nous voulions réellement faire, celui auquel nous aurions voulu jouer. Avec l'expérience Varion, nous avions gagné suffisamment en confiance pour nous considérer capables d'enfin aborder le défi d'une aventure narrative et d'aller – une fois encore – jusqu'au bout.
"Durant la pré-production, nous avions les concepts de base mais le système ne fonctionnait pas."
Quels ont été vos obstacles et vos plus belles réussites dans ce projet ?
RundiscÀ vrai dire, le déroulement du jeu s'est déroulé tout du long sans réel accroc. La production s'est très bien passée, nous n'avons subi aucun retard, nous n'avons essuyé aucun revers technique insurmontable, peut-être parce que nous en avions sécurisé la plupart des aspects du développement dès le début.
S'il y a vraiment eu un obstacle, je le placerais en fait presque au tout début, alors que nous étions encore dans ce qu'on pourrait appeler la pré-production, en train d'échafauder le gameplay. Nous avions les concepts de base, nous savions exactement quel genre de jeu nous voulions faire, mais le système ne fonctionnait tout simplement pas : c'était beaucoup trop dur, ou beaucoup trop simple, ou sans intérêt. C'était trop guidé ou pas assez. On n'arrivait pas à développer une histoire avec les briques dont nous disposions, etc. On a ainsi passé environ deux mois assez pénibles dans un cycle ou l'un de nous deux proposait une solution géniale, et l'autre douchait son enthousiasme en soulevant tous les problèmes qu'elle créait ou créerait dans le futur. C'était très frustrant, et si nous avions abandonné ça aurait sans doute été à ce moment-là. Heureusement, à force de cogiter, d'essayer, de se planter et de cogiter à nouveau, on a finit par avoir les 3 ou 4 idées mécaniques qui ont tout débloqué, et tout rendu possible. À partir de cet instant, les choses se sont déroulées presque idéalement jusqu'à la fin.
S'il y a vraiment eu un obstacle, je le placerais en fait presque au tout début, alors que nous étions encore dans ce qu'on pourrait appeler la pré-production, en train d'échafauder le gameplay. Nous avions les concepts de base, nous savions exactement quel genre de jeu nous voulions faire, mais le système ne fonctionnait tout simplement pas : c'était beaucoup trop dur, ou beaucoup trop simple, ou sans intérêt. C'était trop guidé ou pas assez. On n'arrivait pas à développer une histoire avec les briques dont nous disposions, etc. On a ainsi passé environ deux mois assez pénibles dans un cycle ou l'un de nous deux proposait une solution géniale, et l'autre douchait son enthousiasme en soulevant tous les problèmes qu'elle créait ou créerait dans le futur. C'était très frustrant, et si nous avions abandonné ça aurait sans doute été à ce moment-là. Heureusement, à force de cogiter, d'essayer, de se planter et de cogiter à nouveau, on a finit par avoir les 3 ou 4 idées mécaniques qui ont tout débloqué, et tout rendu possible. À partir de cet instant, les choses se sont déroulées presque idéalement jusqu'à la fin.
"Cette radicalité graphique nous permettait de tenter de proposer quelque chose d'original."
Chants of Sennaar dispose d'un visuel très original. Parlez-nous un peu de la conception de ces environnements, et de cette palette de couleur qui évolue en fonction des différentes civilisations que le joueur va pouvoir croiser.
RundiscC'est une toute petite équipe qui a réalisé Chants of Sennaar. Dès le tout début, nous avions hautement conscience que nous ne serions jamais de taille, en termes de capacité de production et de compétences, à entrer en compétition avec tous les jeux proposant des graphismes plus ou moins photoréalistes. D'où cette idée de départ de nous appuyer sur une direction artistique radicale – c'est le mot qu'on a employé tout au long du développement – proposant des graphismes qui ne pourraient pas être comparés aux autres selon les critères habituels de rendu, d'éclairages, de textures, etc. Cette radicalité nous permettait aussi de tenter de proposer quelque chose d'original, ayant donc plus de chances d'être remarqué.
On est alors allé chercher des artistes radicaux pour nous inspirer. Le premier d'entre eux a été Philippe Druillet, qui a fondé Métal Hurlant avec Moebius dans les années 70. Depuis toujours ses couleurs surpuissantes et pourtant harmonieuses m'ont fasciné. On savait que le jeu serait « jaune » (tout du moins au début) avant même de savoir en quoi il consisterait... Quand, après quelques tests graphiques, on s'est aperçus qu'un rendu « filaire » permettait de mieux mettre en valeur la géométrie très simple de nos décors, on a décidé de jouer à fond sur l'analogie avec la bande-dessinée en ligne claire, et nous avons convoqué d'autres artistes de cette époque et de ce courant. Moebius donc, évidemment, mais aussi François Schuiten, et son approche tellement organique et fantastique de l'architecture.
En fait, tout autant que les couleurs ou la bande-dessinée, c'est aussi l'architecture qui a été notre principale influence. C'était un univers que nous voulions construire, avant même une histoire : cette tour labyrinthique, infinie, impossible, presque inhumaine où l'on se perd. Alors, nous avons compulsé beaucoup de références architecturales, du monde entier et de toutes les époques ou presque, avant de nous concentrer sur certains courants particuliers, ainsi que le travail de sculpteurs et de plasticiens s'exprimant à travers le matériau architectural. L'aspect visuel de Chants of Sennaar est donc en résumé la rencontre entre ces deux influences majeures que sont l'architecture monumentale et la BD européenne de science-fiction des années 70-80.
On est alors allé chercher des artistes radicaux pour nous inspirer. Le premier d'entre eux a été Philippe Druillet, qui a fondé Métal Hurlant avec Moebius dans les années 70. Depuis toujours ses couleurs surpuissantes et pourtant harmonieuses m'ont fasciné. On savait que le jeu serait « jaune » (tout du moins au début) avant même de savoir en quoi il consisterait... Quand, après quelques tests graphiques, on s'est aperçus qu'un rendu « filaire » permettait de mieux mettre en valeur la géométrie très simple de nos décors, on a décidé de jouer à fond sur l'analogie avec la bande-dessinée en ligne claire, et nous avons convoqué d'autres artistes de cette époque et de ce courant. Moebius donc, évidemment, mais aussi François Schuiten, et son approche tellement organique et fantastique de l'architecture.
En fait, tout autant que les couleurs ou la bande-dessinée, c'est aussi l'architecture qui a été notre principale influence. C'était un univers que nous voulions construire, avant même une histoire : cette tour labyrinthique, infinie, impossible, presque inhumaine où l'on se perd. Alors, nous avons compulsé beaucoup de références architecturales, du monde entier et de toutes les époques ou presque, avant de nous concentrer sur certains courants particuliers, ainsi que le travail de sculpteurs et de plasticiens s'exprimant à travers le matériau architectural. L'aspect visuel de Chants of Sennaar est donc en résumé la rencontre entre ces deux influences majeures que sont l'architecture monumentale et la BD européenne de science-fiction des années 70-80.
"Le héros du jeu est un traducteur, un diplomate. C'est de gens comme ça dont notre futur a besoin."
À l'heure où la compréhension du monde, et de toutes ses cultures, ne semble plus être la priorité, et où l'intolérance explose sur les réseaux, ainsi que dans notre société en général, comment envisagez-vous l'aspect sociétal de Chants of Sennaar ?
RundiscLa thématique que tu évoques se trouve en fait au cœur du jeu, comme les joueurs s'en rendront probablement compte au fil de leur aventure. Alors que nous étions en plein développement, Death Stranding et sorti, et je n'ai pas pu m'empêcher d'y voir une affinité avec ce que nous étions en train d'essayer de faire et surtout de dire. Je pense que c'est un signe des temps : oui, nous vivons une époque pour le moins angoissante où les enjeux de communication sont peut-être devenus les plus importants du Monde puisque tout le reste aujourd'hui (politiques climatiques, gouvernance des pays, guerres) se décide et se façonne à leur image. Et voir que les outils qui devaient nous aider à communiquer toujours plus participent en fait à nous diviser irrémédiablement n'a rien de rassurant.
Chants of Sennaar n'a pas de message politique ni de morale grandiloquente à asséner, mais seulement l'envie de mettre en lumière d'autres types de héros que ceux qu'on nous présente habituellement. De participer à sa petite échelle à créer de nouveaux modèles. Celui de personnes capables de résoudre les problèmes non par la force ou même le courage, mais par l'empathie, par la capacité à comprendre, aimer et rassembler les autres. À cultiver ce qui nous rapproche au lieu d'aggraver ce qui nous divise, à créer des liens. Le héros du jeu est un traducteur, un diplomate. C'est de gens comme ça dont notre futur a besoin.
Chants of Sennaar n'a pas de message politique ni de morale grandiloquente à asséner, mais seulement l'envie de mettre en lumière d'autres types de héros que ceux qu'on nous présente habituellement. De participer à sa petite échelle à créer de nouveaux modèles. Celui de personnes capables de résoudre les problèmes non par la force ou même le courage, mais par l'empathie, par la capacité à comprendre, aimer et rassembler les autres. À cultiver ce qui nous rapproche au lieu d'aggraver ce qui nous divise, à créer des liens. Le héros du jeu est un traducteur, un diplomate. C'est de gens comme ça dont notre futur a besoin.
"Je pense que fondamentalement, on s'amuse plus à créer des jeux qu'à y jouer."
Envisagez-vous une suite si le succès est au rendez-vous ? Ou peut-être un autre volume dans le même genre d'énigmes mais sur un autre thème ?
RundiscIl est trop tôt pour parler publiquement de nos projets futurs, qui dépendront évidemment pas mal de la trajectoire de Chants of Sennaar. Nous avons bien sûr des idées pour l'avenir, et quelques ambitions. Mais nous restons pour l'instant très pragmatiques : ce sont les joueurs qui décideront de la suite à donner ou pas à cette aventure.
Pour finir, vous jouez à quoi quand vous ne bossez pas sur Chants of Sennaar ?
RundiscÀ des jeux de quarantenaires ! Globalement, et sans surprise, on est plutôt amateurs de jeux de réflexion et d'aventure, surtout s'ils embarquent un bon scénario et une narration originale. On évite par contre les jeux-continents et/ou multi qui vous aspirent pendant des centaines d'heures : on n'a tout simplement pas le temps pour ça. Je pense que fondamentalement, on s'amuse plus à créer des jeux qu'à y jouer.