Des ombres étincelantes
Entre délais à rallonge, diverses polémiques, déluge de bashing et une situation économique délicate, les derniers mois d'Ubisoft ont ressemblé à une partie de Tetris en mode expert (où tout tombe mal). Voilà pourquoi Assassin's Creed Shadows a pris son temps pour arriver jusqu'à nous. Mais il faut dire que la tâche était corsée : proposer un Assassin's Creed dans le Japon féodal après le hold-up Ghost of Tsushima ? C'était comme essayer de passer après un samouraï qui vient de trancher une pastèque en deux d'un coup net. Heureusement, Ubisoft a plus d'un shuriken dans sa besace : le défi est relevé avec panache.

L'histoire
La présence de Yasuke a d'ailleurs déclenché une polémique d'un niveau de pertinence proche d'un débat sur la forme des nuages. Pourtant, cette figure fascinante, malheureusement méconnue, a bel et bien existé. Et sa présence dans Assassin's Creed Shadows est totalement légitime. Ubisoft en fait un héros charismatique et puissant, bien plus marquant que Jin Sakai (Ghost of Tsushima appréciera la tentative mais devra s'incliner). Là où Jin passait son temps à broyer du noir sous un cerisier en fleurs, Yasuke s'impose par sa présence brute et son regard acéré. Son évolution est passionnante, son rapport à la loyauté et son statut d'étranger dans un Japon hyper-codifié en font un personnage profondément attachant.


Naoe, de son côté, n'est pas en reste. Rapide, discrète et mortelle, elle offre une approche totalement différente du jeu. Si ce personnage apparaît de prime abord plus classique que celui de Yasuke, sa progression dans l'histoire lui donne un relief inattendu : ses motivations personnelles, son lien avec les Assassins et son habileté en font une héroïne aussi fascinante que redoutable. Mais ce qui impressionne, c'est surtout l'entrelacement de ces deux destins. Comme dans les meilleurs Assassin's Creed, les assassinats ne sont jamais de simples missions indépendantes : ici, chaque cible est une pièce d'un puzzle plus vaste, chaque quête s'emboîte avec une maîtrise qui force le respect. La toile d'araignée tissée entre complots, alliances et trahisons est plus ingénieuse que jamais.
À la différence de Ghost of Tsushima, qui prenait quelques libertés historiques, Shadows s'ancre plus fermement dans la réalité. L'intrigue mélange donc faits réels, assassinats bien chorégraphiés et conspirations dignes de la franchise, tout en offrant une belle occasion de faire connaître Yasuke au grand public.
Le principe

Il y a fort à parier que Yasuke marque au fer l'histoire de la licence.
À l'opposé, Naoe, la kunoichi, mise sur la discrétion et l'agilité. Escalade, assassinats silencieux et art du camouflage, son style rappelle les plus belles heures de la licence. Ceux qui aiment disparaître dans l'ombre après avoir éliminé leur cible apprécieront l'approche plus fine et furtive qu'elle propose. La quête qui lui permet de récupérer la tenue emblématique des Assassins est d'ailleurs assez géniale.


L'exploration s'intègre parfaitement à ces deux styles de jeu. Le Japon féodal regorge d'activités : infiltration dans des camps ennemis, filatures, assassinats stratégiques, aides à la population, jeux de cartes et autres défis... Le tout dans un monde ouvert qui joue avec brio la carte du réalisme et du détail historique. Si l'ADN RPG introduit depuis Origins est toujours bien présent, la complémentarité entre les deux personnages enrichit vraiment l'expérience, offrant une liberté bienvenue dans l'approche des missions, se payant même le luxe de balayer le coup de mou sur l'intérêt qui intervenait parfois à mi-chemin. En résumé, que vous soyez plutôt sabre ou shuriken, Shadows vous laisse jouer les shinobis à votre façon, mais toujours avec style.
L'emballage

Passer de l'ombre à la lumière avec une envolée de grues du Japon.
La bande-son, quant à elle, est une claque. Signée par The Flight (déjà derrière Assassin's Creed Odyssey), elle oscille entre percussions martiales et envolées orchestrales hypnotisantes. Le genre de musique qui vous donne envie d'acheter un kimono et de méditer sous un érable en sirotant du thé vert (avant de repartir assassiner la moitié d'un clan rival).
La comparaison

Les duels sont souvent très stylisés avec un touche musicale à la Tarantino assez magique.
Mais là où Shadows prend l'avantage, c'est sur la complexité de sa narration et la force de ses personnages. Yasuke surpasse Jin Sakai en charisme et en profondeur, et le maillage des intrigues et assassinats est d'une richesse exceptionnelle. Difficile de dire quel jeu est "meilleur" tant les expériences diffèrent, mais Shadows parvient à exister sans être une simple copie. En parlant de copie, rappelons tout de même que Ghost of Tsushima empruntait déjà beaucoup à la licence Assassin's Creed comme nous l'avions déjà souligné lors du test.
Pour qui ?

Un Japon sublime à explorer… à condition de ne pas foncer tête baissée comme un ninja pressé !
L'anecdote

En marchant, on voit plus de chose qu'en courant...
Pressé d'aller au bout de l'histoire pour en tirer des conclusions, j'ai enchaîné les missions principales à un rythme infernal. Résultat ? Une sensation de répétitivité qui commençait à poindre, des mécaniques qui semblaient s'user un peu trop vite... Et puis, après coup, réalisant que j'avais le temps finalement, j'ai pris le temps justement d'explorer, de m'arrêter dans un village pour écouter une conversation, de suivre une piste qui n'était pas indiquée sur la carte, de m'immerger dans ce Japon vibrant et réaliste. Et là, tout a changé.


L'open world de Shadows ne se livre pas à ceux qui le survolent, mais à ceux qui l'habitent. En prenant le temps, j'ai découvert que chaque recoin avait une histoire à raconter, que le monde évoluait selon mes choix, que les missions secondaires enrichissaient réellement l'expérience. Alors oui, on peut tracer tout droit vers la fin, mais c'est comme lire les résumés Wikipédia des Chroniques de l'Assassin Royal : on perd tout ce qui fait la magie du voyage.
- Deux styles de jeu radicalement différents, pour varier les plaisirs
- Un Japon féodal magnifiquement rendu, avec une exploration passionnante
- Yasuke, un personnage marquant et charismatique
- Un scénario intelligent et une narration parfaitement tissée
- Des combats à la classe tarantinesque
- La bande-son géniale par The Flight
- Des combats à l'exigence d'un For Honor qui peuvent être punitifs
- Moins poétique que le stylisé Ghost of Tsushima
- Une nature qui manque étonnamment de danger animal
Après une gestation longue et quelques sueurs froides en interne, Ubisoft livre avec Assassin's Creed Shadows un opus à la hauteur des attentes. En misant sur une narration plus ambitieuse, un duo de personnages complémentaires et un Japon foisonnant de vie, l'éditeur évite le piège du simple Ghost of Tsushima bis et propose une expérience unique. Plus dense, plus varié et porté par un Yasuke inoubliable, cet Assassin's Creed prouve que la série a encore de beaux jours devant elle. Un must-have pour tout fan d'aventures épiques, de mondes ouverts aspirants, de combats au katana et de personnages méconnus riches en enseignements surtout à notre époque polarisée.