Interview | Memoriapolis
21 nov. 2024

Rencontre avec 5PM Studio

Interview par ,

Pas simple de se démarquer dans un genre aussi calibré que le city-builder. Avec Memoriapolis, voilà l'objectif courageux que s'est fixé le studio 5PM. En concentrant le gameplay sur l'architecture, son évolution historique, l'aspect organique de la cité, en s'extirpant de toutes ces petites actions rébarbatives telles que la construction des routes, l'équipe parisienne semble en passe de réussir ce pari. En accès anticipé depuis août, Memoriapolis suscite logiquement la curiosité des fans du genre mais son accessibilité pourrait bien lui permettre d'élargir son champ d'attraction. C'est en tout cas tout le mal que l'on souhaite à cet ambitieux projet qui nous a tapé dans l'œil. Rencontre avec le Studio Director Jean-Baptiste Reynes et la Game Designer Margaux Bérard.

"L'idée de ce jeu part d'une frustration de joueur."

Si vous deviez pitcher le jeu en une seule phrase.
Jean-Baptiste ReynesMemoriapolis est un city-builder organique historique.

Margaux BérardUn city-builder qui se déroule sur quatre âges avec une grande notion de stratégie.


D'où vient l'idée de Memoriapolis et comment a-t-elle évolué sur la durée ?
Jean-BaptisteElle part d'une frustration de joueur. Je joue aux city-builders depuis longtemps et je n'ai jamais réussi à faire des villes européennes organisées autour de leur histoire, des bâtiments historiques, bref de leur patrimoine. L'idée de départ était donc d'essayer de proposer un jeu qui le permettait.


Comment envisage-t-on un jeu dans un genre qui reste assez souvent sur ses acquis ? De quelle façon peut-on proposer des nouveautés en matière de game design notamment ?
MargauxÇa vient surtout de ce que Jean-Baptiste disait un peu plus tôt au sujet des frustrations. On a parlé des différents âges, les quatre principaux. Il y a également six cultures dans Memoriapolis. À partir de tous ces éléments, on pouvait très bien faire des mélanges. Qu'est-ce qui serait intéressant à chaque époque historique ? Qu'est-ce que les joueurs veulent voir ? Qu'est-ce qui nous intéresse de développer également ? Comment peut-on mélanger ça en fonction des cultures ? Par exemple, comment était l'Antiquité d'un point de vue commercial, militaire, comment ça a évolué avec le temps... Et nous sommes parvenus à faire des choses plutôt intéressantes avec tout ça.

"L'early access nous permet de valider cette ville organique qui enlève du pouvoir aux joueurs."

Le jeu est actuellement en early access. Qu'est-ce que ça sous-entend en termes de nouvelles options et d'évolutions ? Est-ce que vous envisagez d'ajouter des nouveaux éléments d'ici la sortie officielle ?
Jean-BaptisteL'early access nous permet de valider les nouveautés apportées par Memoriapolis, notamment cette ville organique et autonome qui implique de retirer aux joueurs une partie de leur pouvoir de décision et de dessin. Et on sait bien que les fans de city-builder sont souvent des gens qui aiment contrôler avec précision le dessin de leur ville. Pour nous, ce lancement en early access était donc, entre autres, un moyen d'obtenir une validation de leur part. Si on vous propose quelque chose d'un peu plus organique sur lequel vous n'avez pas entièrement la main, en tous cas pas directement, est-ce que ça vous convient ?

C'était également un moyen de s'organiser autour des deux premiers âges du jeu, l'Antiquité et le Moyen Âge, et de proposer des boucles de jeu avec ce que nous appelons un passage d'âge, une transition entre l'Antiquité et le Moyen Âge. Memoriapolis est sorti fin août. Nous avons passé les deux premiers mois à corriger les bugs, à améliorer des choses, etc. Normalement, d'ici fin novembre, nous serons venu à bout de cette mission d'amélioration et de correction de la proposition initiale et nous pourrons commencer à ajouter de nouvelles fonctionnalités ainsi que de nouveaux âges.

"Notre volonté : remettre l'architecture au centre des problématiques d'un city-builder."

Parlons un peu du système d'évolution à travers les âges. Vient-il d'un attrait pour l'histoire ou est-ce lié à vos expériences vidéoludiques à chacun ?

MargauxLes deux à peu près à équivalence. Je dirais que c'était autant une volonté de voir ce qu'on pouvait faire et jusqu'où on pouvait aller, que par exemple, ce que souhaitent les joueurs. Nous pouvons voir à peu près là où ils vont, ce qu'ils veulent, etc. Et nous essayons, proposons et corrigeons.

Jean-BaptisteC'est effectivement la volonté d'une part de remettre l'architecture au centre des problématiques d'un city-builder. Ce qui me paraît tout de même assez fondamental. Et au travers de l'inspiration des jeux, nous avons essayé de travailler sur une base très city-builder en lui apportant des inspirations de type 4X, comme Civilization ou Humankind en s'axant donc plus sur la politique. Puisque le joueur n'avait plus à dessiner chacune des routes et des maisons, il fallait lui trouver d'autres activités. L'une d'entre elles consiste à s'organiser autour de la politique et de la gestion de ce que nous appelons dans le jeu les factions. Elles installent dans la ville et il va falloir négocier avec elles et travailler sur leur évolution au travers des âges.

"Le travail sur la mémoire nous a guidé : que devient un temple grec en plein christianisme ?"

Votre passé d'architecte a-t-il influencé la façon dont les villes se forment organiquement dans le jeu ?

Jean-BaptisteJ'espère bien que oui ! (rires) Comme je vous disais tout à l'heure, c'est une frustration d'architectes de ne pas pouvoir dessiner des villes un peu complexes avec autre chose que des grilles de rues à l'américaine. Ça, c'est un premier point. Et le deuxième point, c'est de travailler sur la mémoire d'où le titre Memoriapolis. Comme le disait Margaux, que devient le temple grec en plein christianisme ? En quoi est-il transformé ? Comment tout ça s'organise ? Et puis, troisième point, ce que nous appelons les règles d'urbanisme, c'est-à-dire qu'est-ce qu'un terrain, comment il se structure, comment ce qu'on appelle les parcelles, le dessin au sol des bâtiments se tracent. Quel est le différent parcellaire à chacun des âges ? Comment évolue-t-il ? C'était des questions que j'ai trouvées intéressantes. Elles sont très techniques mais le joueur ne les aborde pas. Par contre, de notre côté, nous avons dû nous les poser pour que la 3D soit la plus réaliste et amusante possible.

MargauxEn plus de cette couche-là, il y a aussi la couche culturelle. Par exemple, des factions qui vont être commerciales n'auront pas le même visuel de quartier qu'une faction militaire, religieuse, etc. Ça permet d'apporter de la vie à ces quartiers qui changent en fonction des âges et des cultures qui y sont attitrées.

"La présence de héros historiques a été écartée pour alléger d'autres contraintes."

Qu'y a-t-il dans le jeu qu'on ne verra jamais, que vous avez dû mettre de côté ?

MargauxPour ma part, j'aimais beaucoup les héros. Pendant une époque, nous voulions avoir des héros historiques qui interviennent dans le jeu. Le joueur aurait pu les recruter et utiliser, etc. On pouvait par exemple avoir, je ne sais pas, Charles Martel ou d'autres héros qui apparaissent avec leur propre culture. Nous avons écarté cette idée parce que des décisions ont dû être prises pour alléger d'autres contraintes, remettre d'autres choses à la place. S'ajoute à ça le problème de l'ancrage des héros dans la direction que nous avions prise à l'époque. Je ne sais pas ce qui l'a remplacé dans le planning, mais ça en valait la peine puisque nous avons un beau produit actuellement !


Peut-on imaginer un DLC avec des héros ?

Jean-BaptisteAlors, la question était "qu'on ne verra jamais". En l'état actuel, je ne peux pas répondre à cette question parce qu'il n'y a rien qu'on ne verra jamais dans Memoriapolis. Ou alors si, des choses qui étaient tellement nulles que nous les avons écartées, c'est tout à fait possible ! (rires) Mais justement si le jeu fonctionne bien, ce qu'on espère évidemment, nous avons beaucoup d'idées d'ajouts : des nouvelles cultures, des nouveaux types d'architecture. Effectivement, comme l'a dit Margaux, pourquoi pas un système de héros qui viendrait pendant quelques temps dans la ville et qui apporterait des bonus spécifiques ? Ce ne sont pas les idées qui manquent, c'est surtout un petit peu de temps et de moyens pour les mettre en œuvre.

"Frostpunk est une bonne entrée pour se lancer ensuite sur Memoriapolis."

À quoi jouez-vous quand vous ne travaillez pas ? Et quelles seraient vos recommandations de jeux avant de se lancer sur Memoriapolis ?
MargauxJe joue à des jeux un peu honteux qui n'ont rien à voir avec le jeu sur lequel je travaille actuellement (rires). En ce moment, je joue beaucoup à Minecraft, mais je ne suis pas sûre que ce soit vraiment quelque chose à conseiller avant de jouer à Memoriapolis. Je sais que Frostpunk était une bonne entrée. Sans être forcément dans la même lignée, je pense que des joueurs qui aimeront Frostpunk auront plus de chance d'apprécier ensuite Memoriapolis. Je conseillerais donc Frostpunk.

Jean-BaptisteJe joue à tout et n'importe quoi ! Avec une petite prédilection pour les MMO et les RPG. J'ai des goûts vraiment très éclectiques. Comme l'a dit Margaux, les jeux auxquels il faudrait jouer pour aborder Memoriapolis, se sont effectivement des city-builders, n'importe lesquels : Civilization ou un 4X équivalent. Et c'est vrai, Frostpunk nous a servi de référence dans la manière dont les développeurs racontent l'histoire, cette façon très efficace qu'ils ont d'imposer des choix moraux aux joueurs. Je ne suis pas certain que nous ayons atteint leur niveau, mais Frostpunk est une belle expérience à faire avant Memoriapolis.

"Mon souhait serait que les joueurs traitent la ville comme un PNJ."

À votre avis, quels sont les mots-clés qui peuvent venir à l'esprit des joueurs lorsqu'ils vont lancer Memoriapolis ?

MargauxJe pense que ça serait "victoire". C'est la façon d'aborder la fin du jeu parce que nous aimerions nous diriger vers des différences culturelles qui mèneraient sur des victoires ou des défaites spécifiques. Je pense que ce serait le plus impactant pour les joueurs, de voir l'aboutissement des différents âges, de toutes les décisions qu'ils ont prises au fur et à mesure du temps.

Jean-BaptisteLe retour des joueurs que nous avons aujourd'hui : la ville organique est super fun et marrante à observer. Ils trouvent ça très plaisant de regarder leur cité vivre. Mon souhait serait que les joueurs traitent la ville comme un PNJ. J'aimerais qu'elle ne soit pas un objet mort qui n'attend que les décisions du joueur, mais un vrai objet vivant avec lequel il est obligé de discuter et de s'organiser en permanence. Ce serait pour moi une réussite si nous parvenions à ça.

"Les joueurs nous disent que le diamant est bien là mais qu'il n'est pas encore taillé."

Justement, concernant les retours des joueurs, lesquels vous ont surpris, étonnés, amusés ?

Jean-BaptisteIl n'y a pas eu de retours qui nous ont surpris. Mais beaucoup de retours nous ont obligés à réfléchir et à repenser des choses. Il se trouve que les retours sont toujours positifs avec un "mais" : "On espère que vous allez aller au bout de votre idée". Ou alors il s'agit de retours négatifs suivis d'un "mais si vous allez au bout de votre idée, on trouvera ça bien". Globalement, les premiers avis sont plutôt bons, mais tout le monde nous dit que le diamant n'est pas encore taillé et que nous avons encore du travail. Nous écoutons donc énormément les retours des joueurs. Nous avons même la chance d'avoir un petit groupe de joueurs très investis avec lesquels nous tavaillons. Nous échangeons les builds de dev, ce que nous fabriquons tous les jours. Nous sommes très friands de leurs retours sur les mécaniques et les améliorations que l'on peut apporter.


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Tribune libre