Rencontre avec SciFunGames
L'un des intérêts de la Paris Games Week, et plus spécialement de son espace Jeux Made in France, c'est de pouvoir tomber sur des jeux passés sous le radar. Étonnement, Exographer faisait partie de ceux-là. En mêlant physique des particules et puzzle-platformer, il a pourtant tout ce qu'il faut pour intriguer. C'est donc avec beaucoup de curiosité que nous avons interrogé son Game Designer Pierre-Alban Ferrer et son Creative Director Raphaël Granier de Cassagnac. Vous allez voir que leurs réponses sont on ne peut plus éclairantes sur un jeu à coté duquel il serait dommage que vous passiez.
"Au maximum, notre équipe a été composée de huit personnes."
Vous êtes nombreux à avoir travaillé sur Exographer ?
Raphaël Granier de CassagnacAu maximum, nous avons a été entre six et huit personnes. Il y a les postes que l'on trouve classiquement dans un studio : producer, graphiste, développeur, UX designer et nous deux. Nous avons également eu le renfort d'un tech artist.
Si vous deviez pitcher Exographer en une phrase.
Pierre-Alban FerrerC'est un puzzle-platformer inspiré par la physique des particules, dans lequel vous allez jouer avec des particules, et surtout débloquer des pouvoirs qui sont inspirés de cette science et qui permettent de progresser dans le jeu.
D'où vient l'idée narrative d'explorer une ancienne civilisation, une ancienne technologie ?
RaphaëlLe but du jeu est de faire découvrir la physique des particules mais d'une façon vraiment fun. Le ressort narratif qu'on utilise pour cela et que le joueur suit le parcours d'une civilisation qui a déjà fait toutes les découvertes pour les refaire par lui-même.
"Les réactions des joueurs sont super positives et ça nous fait très plaisir."
Voilà plus d'un mois que le jeu est sorti. Quelles sont les réactions des joueurs qui vous ont surprises, amusées, étonnées ?
RaphaëlNous sommes super contents parce que tous les avis sur Steam sont positifs. Ça ne va peut-être pas durer, mais pour l'instant c'est bien. Pour moi, il y a une réaction qui m'a bien plu. Quelqu'un a dit qu'il aurait souhaité plus de physique, que ce soit plus expliqué à l'intérieur du jeu. Il a dû aller sur Wikipédia pour comprendre un peu ce qu'on avait mis dedans. Or c'est exactement ce que je voulais faire avec Exographer : amener des gens à sortir du jeu et aller se renseigner, poser une question à leur prof de physique. Je suis super content.
Pierre-AlbanGlobalement, les réactions sont effectivement super positives et ça nous fait plaisir. D'une certaine manière, même si nous l'avons testé entre nous et qu'il y a eu des playtests, ça nous surprend de l'exposer au grand public et de voir les réactions positives après avoir été dans une sorte de boîte noire pendant cinq ans où on se demandait si ce qu'on faisait allait fonctionner. C'est super positif pour nous d'obtenir ces retours.
"La difficulté : faire émerger un gameplay d'une science sans être trop complexe ni trop simple."
Durant la création du jeu, qu'est-ce qui a été plus simple que prévu et, à l'inverse, plus compliqué ?
RaphaëlLe plus compliqué, et ça tombe bien puisque c'est ce que nous avons fait tous les deux justement, c'est de faire émerger un gameplay d'une science sans être trop complexe ni trop simple. C'était un aller-retour permanent entre Pierre-Alban et moi pour faire émerger des gameplays qui soient un peu organiques, qui fonctionnent bien, que les joueurs adoptent. Ça se caractérise dans les quatre pouvoirs que l'on développe et dans leurs interactions. Et tout ça en étant pseudo-scientifique, en tout cas assez proche de la science. Pour moi c'est le challenge initial qui était le plus important. Et ensuite, tout le reste en découle assez simplement.
Et spécifiquement en matière de game design, y a-t-il eu des choses compliquées ?
Pierre-AlbanComme le dit Raphaël : gérer cette science qui a un système complexe avec des exceptions, etc. Et c'est vrai que souvent en game design, on aime bien faire des systèmes sans exception et se dire ok, c'est comme ça que ça fonctionne pendant tout le jeu. Il y a donc eu ces difficultés-là. Mais nous avons utilisé des outils, que ce soit du prototypage papier ou des petits prototypes, numériques, pour pouvoir s'assurer au fur et à mesure que ce que nous faisions était à la fois fun à jouer et scientifiquement correct. Lorsque ce n'était pas le cas, on recommençait, on itérait. On créait justement ces petites exceptions parfois afin de voir comment faire en sorte qu'elles s'intègrent bien au système. Ça a été ça un peu la difficulté mais en même temps c'était très stimulant.
"Je pensais que c'était simple d'écrire pour le jeu vidéo. En fait, pas du tout !"
Raphaël, passer du CNRS aux jeux vidéo n'est pas un parcours commun. Peux-tu nous en dire plus ?
RaphaëlEn fait, il y a deux choses. Il a d'abord fallu passer de l'écriture, parce que je suis aussi écrivain, aux jeux vidéo. Et ce n'est pas simple. Je pensais que c'était facile d'écrire pour le jeu vidéo. En fait, pas du tout. D'abord parce que les joueurs ne lisent pas, et ensuite parce que l'histoire n'est pas linéaire. Il faut donc apprendre à utiliser la narration environnementale. En même temps, notre jeu n'est pas conduit par la narration mais plutôt par le gameplay. Comme je le disais tout à l'heure, c'est devenu simple à partir du moment où tout découlait du gameplay que nous avions mis en place. Une fois ça posé, ça a été relativement simple de mettre à la fois la science et la narration.
À l'origine, le jeu s'appelait Reveal. Pourquoi ce changement de nom ?
RaphaëlSi sur Internet tu tapes "Reveal jeu vidéo", tu vas trouver les dates de reveal de tous les autres jeux et tu ne trouveras pas ton jeu. Depuis le début, nous savions donc qu'il faudrait un jour changer de nom, même si nous l'aimions beaucoup. Dans le jeu, le joueur ne fait rien d'autre que de toujours révéler des choses. Reveal c'était vraiment notre nom de travail et tant que nous n'avions pas d'éditeur, il n'était pas utile de le remplacer. Ce changement de nom a donc été une décision marketing très logique avec l'éditeur. C'est là que nous avons opté pour Exographer qui a l'air de bien fonctionner.
"L'idée était de partir du principe que le pixel est l'atome du jeu vidéo."
Évoquons le choix du pixel art, un choix graphique très intéressant car il y a un vrai créneau et beaucoup de joueurs sont fan de ce type de visuels.
Pierre-AlbanCe choix est arrivé assez tôt dans la conception du jeu et dans l'imagination du concept. En fait, l'idée était de partir du principe que le pixel est l'atome du jeu vidéo. C'est vraiment la chose qu'on perçoit et qui est indivisible. Dans le jeu, on s'aperçoit au fur et à mesure, quand on prend des photos, qu'il y a des choses qui sont plus petites que le pixel : les particules. Des choses qui sont donc plus petites que l'atome. C'était un peu ça le message. C'est pour cette raison que notre jeu mélange à la fois pixel art et des éléments vectorisés : tout ce qui est particulaire, issu des particules. Ça, pour le coup, on le vectorise. Dans l'introduction, d'une certaine façon, on commence avec des gros pixels, puis on devient des pixels plus petits. On va faire une plongée petit à petit dans tout ce qui est plus petit que ce qu'on parvient à percevoir.
RaphaëlEt puis je crois aussi que pas mal de gens dans l'équipe aiment bien le pixel art, et donc faire des jeux en pixel art.
"Pour la musique, Yann van der Cruyssen a réussi à bien mettre le doigt sur l'ambiance."
Au niveau musical, vous avez collaboré avec Yann van der Cruyssen qui a déjà composé de belles productions pour des jeux comme Seasons After Fall ou encore Stray. Comment s'est passée cette collaboration ?
RaphaëlTrès bien ! Pour tout le son, nous sommes passés par une société qui s'appelle G4F. Elle s'est occupée à la fois du sound design, de l'intégration mais aussi de trouver le compositeur. À partir du moment où ils nous ont mis en relation avec Morusque, Yann van der Cruyssen, tout s'est très bien passé. Il a joué au jeu, nous lui avons fait des propositions, il nous a envoyé des pistes. J'ai d'ailleurs une anecdote : dans le lot, il y avait une piste que l'équipe ne trouvait pas dans l'esprit du jeu. C'était une musique médiévale qui donnait l'impression d'être dans un village à faire nos courses. Nous ne la sentions pas. Et je dis « Allez, on la monte quand même dans le jeu et puis on verra ». Quand on l'a jouée dans le jeu, on s'est dit tout de suite « En fait, c'est génial ! ». C'était donc vraiment une très bonne collaboration, très simple, très efficace. Et personnellement je suis très, très, très content de la musique du jeu.
Pierre-AlbanYann est un camarade de promo et j'avais donc déjà travaillé un peu avec lui dans ma carrière. Pour moi c'est un génie. C'est toujours super ce qu'il fait et je trouve qu'il a réussi à bien mettre le doigt sur l'ambiance et à la poser parce qu'on a un jeu sans combat avec une prépondérance de l'exploration, voire du contemplatif parfois. Et il a parfaitement réussi à mettre ça en musique, c'est top. Quand ça été posé sur le jeu c'était parfait.
"La science pour tous mais on s'éclate avant tout."
En quoi consiste votre travail maintenant que le jeu est sorti ? Comment organisez-vous votre temps à présent ?
RaphaëlL'équipe s'est un peu dissoute. Nous ne travaillons plus tous ensemble aujourd'hui. Nous sommes trois à avoir créé une société qui s'appelle SciFunGames dont la vocation est de faire des jeux fun dans lesquels il y a de la science. Nous avons une sorte de devise qui est « Science for all, fun above all », la science pour tous mais on s'éclate avant tout. Le graphiste, le développeur et moi-même sommes partis dans cette aventure-là. Nous sommes en train de concevoir un nouveau jeu dont on ne peut pas trop parler encore mais qui va être bien.
Pierre-AlbanEt moi, je suis actuellement en freelance, et j'ai filé quelques coups de main pour la dernière ligne droite sur Exographer.
"Si on fait une suite, ce sera sur une autre science."
Si vous deviez ajouter une extension à Exographer, ou peut-être même réfléchir à une suite, qu'y aurait il dedans ? Avez-vous déjà des idées à ce sujet ?
RaphaëlComplètement oui ! Avec Exographer nous traitons de la physique des particules telles qu'elles existent aujourd'hui, c'est-à-dire avec celles qui ont été effectivement découvertes. Il ne peut donc pas y avoir de DLC tant que les physiciens n'auront pas fait de nouvelles découvertes. Si nous faisons une suite, ce qui n'est pas du tout exclu, ce sera sur une autre science. Nous utiliserons le même gameplay. Au lieu d'arriver sur la planète "physique des particules", le joueur débarquera sur la planète "biologie" et plutôt que de manipuler des particules, il manipulera des virus, des bactéries, des antivirus, des vaccins, des choses comme ça. Ça peut aussi marcher avec de la chimie, par exemple. Il s'agirait de dériver le même concept sur d'autres sciences : même personnage, pixel art et un environnement dans lequel la science est omniprésente. Si nous faisions un jeu sur la biologie, il y aurait beaucoup plus de décors naturels que de sites liés à une civilisation ancienne. Et puis toujours une phase de puzzles qui s'inspirerait de mécaniques profondes, de la science pour faire un jeu un peu fun. Ce serait ça le DLC s'il y en a.
"Quand tu veux apprendre des choses à des gens via le jeu vidéo, il y a plein de façons de faire."
La science est donc très présente dans le jeu et ça permet au joueur d'apprendre en s'amusant. Ce qu'on pourrait apparenter à la Ludopédagogie. En tant que scientifique, est-ce que le terme te convient Raphaël ?
RaphaëlNon, je n'aime pas (rires). Quand tu veux apprendre des choses à des gens via le jeu vidéo, il y a plein de façons de faire. Tu peux en effet être très sérieux, très près de la pédagogie, de l'éducation, etc., même s'il faut toujours se méfier des termes. Et ça c'est bien. Il y a des gens qui le font. Moi je préfère me situer à l'autre extrémité du spectre et faire des jeux qui soient avant tout funs, où un joueur s'il n'a pas envie d'apprendre, va peut-être retenir deux ou trois termes qui lui serviront plus tard, mais c'est tout. Il n'y a pas besoin d'aller plus loin. Et pour les joueurs qui ont envie d'aller plus loin, ouvrir plein de petites portes. Pour eux, effectivement, ça devient un jeu plus éducatif. Mais le cœur du créneau, c'est vraiment essayer de mettre les sciences dans des mains dans lesquelles elles ont peu de chance d'arriver avec le jeu vidéo et sur des gens qui n'ont pas forcément envie a priori d'aller vers les sciences. C'est un pari que nous prenons.
"Nous avons joué à plein de choses pour trouver des inspirations intéressantes."
Quels sont les jeux qui vous ont donné envie de vous lancer dans votre propre jeu à vous ?
Pierre-AlbanSur Exographer en particulier, on nous demande souvent les références. C'est vrai que nous mélangeons pas mal de choses. Je pense que Outer Wilds nous a pas mal marqué pour ce qui est de récupérer des indices, faire son enquête, etc. Return of the Obra Dinn aussi dans cette idée-là. Sur la partie plateforme, nous sommes évidemment allés beaucoup regarder du côté de Celeste ou des jeux qui proposent des pouvoirs qui vont impacter les déplacements du personnage. Voilà les références que nous sommes aller chercher. Nous avons joué à plein de choses pour trouver des inspirations intéressantes. Mais les jeux principaux qui nous ont marqués ce sont ceux-là. Et peut-être un peu The Witness aussi d'une certaine façon.
RaphaëlPierre-Alban a cité la plupart des jeux inspirants mais on peut aussi ajouter Hollow Knight, les jeux de ce type, pour observer la partie plateforme, même si nous ne sommes pas aussi vénères, qu'il n'y a pas de combat. Owlboy, Ori, tous ces Metroidvania qui sortaient ou qui étaient très populaires au moment de notre processus de création. On y jouait pendant qu'on créait Exographer.
"Récemment, le seul jeu auquel j'ai joué c'est... Exographer. Parce ce que débogage."
Vous jouez à quoi quand vous n'êtes pas sur Exographer ?
Pierre-AlbanJ'ai récemment repris The Case of the Golden Idol avec son côté enquête très chouette. Réfléchir un peu, avoir des situations qui ont l'air assez simples et finalement essayer de trouver tous les détails qui vont nous donner des indices pour résoudre les enquêtes. C'est très cool.
RaphaëlMoi je n'ai pas tout à fait fini The Legend of Zelda : Tears of the Kingdom, il va falloir que je m'y attelle rapidement. Et je réfléchissais mais récemment, le seul jeu auquel j'ai joué c'est Exographer en fait. Parce que debug, debug, vérifications de bugs, aller taper dans tous les coins. J'ai donc beaucoup, beaucoup d'heures sur ce jeu.
"La curiosité est le nerf de beaucoup de choses."
À votre avis, quels seraient les trois ou quatre mots-clés qui viendraient à l'esprit d'un joueur qui lancerait pour la première fois Exographer ?
Pierre-AlbanPrenez des photos tout le temps dans le jeu, car c'est super utile. Et puis voilà, n'hésitez pas à explorer, à vous dire « Tiens, je ne suis pas allé dans ce coin, là ! ». Il y a peut-être quelque chose ou il y aura quelque chose plus tard. Voilà.
RaphaëlEt comme je disais tout à l'heure, s'il y a un terme un peu scientifique qui vous intrigue, même un nom de personnage, si vous avez l'impression que ça pourrait être un personnage réel, essayez de trouver ce que c'est.
Et restez curieux ?
RaphaëlOui, la curiosité est le nerf de beaucoup de choses !