Test | Nobody Wants to Die
22 juil. 2024

Brade Runner

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Nobody Wants to Die

New York, un futur alternatif. Des voitures volantes au look des années 30. Des transferts de conscience dans des individus achetés aux enchères. Des jeunes forcés de vendre littéralement leurs corps à des nababs, faute d'argent – tout ça est tristement banal dans Nobody Wants to Die, un jeu d'enquête en vue subjective qui rappelle autant Observer que la série TV Altered Carbon.

L'histoire

Time Square, Manhattan, 2329. Une voiture en suspension au-dessus de la métropole polluée, rongée par les pluies acides. Un vieux film en noir et blanc balafre la façade d'un immeuble décrépi, un des derniers drive-in décents. Détective James Karra : Des bars pour le meilleur des mondes, si immersif qu'on pourrait s'y noyer. Mais bien sûr, c'est interdit de se noyer, comme toutes les échappatoires à ce paradis. Nos corps valent trop chers pour ça, et j'ai toujours un crédit à rembourser pour le dernier. Heureusement que j'ai 50% de remise avec mon badge, tant que je reste flic en tout cas. Pas simple avec cette affaire que m'a refilé le chef en sous-main... Elle sent plus mauvais qu'un macchabée faisandé dans une décharge.

Votre radio grésille. Une voix féminine : c'est la jeune officière de liaison Sara Kai, 30 ans à peine. Vous en avez 120 et vous en êtes déjà à votre quatrième corps – le dernier, vu l'état de vos désynchronisations et autres hallucinations, amplifiées par les traumas à répétition, l'alcool et les drogues. Cette enquête sur des nababs assassinés les uns après les autres dans des endroits toujours plus luxueux est votre dernière enquête, vous le sentez bien. Celle qui vous permettra peut-être de mettre vos affaires en ordre, d'aider quelques proches. Avant de rejoindre Rachel dans l'au-delà, votre ex-femme adorée. La mort vous accompagne pas-à-pas dans Nobody Wants to Die, et malgré vos enveloppes charnelles successives, vous sentez bien que votre esprit finira par lâcher. Peut-être même avant la fin de cette affaire...
Un pendu, des indices qui laissent penser à un meurtre et un chef qui préférerait un suicide...

Le principe

Le travail sur le son est incroyable. Quand vous rembobinez, vous entendez quantité de... détails...

Cinquième Avenue, Manhattan. Cette ville est malade. Dans ses entrailles, sous la routine de béton et d'acier, sous la lumière électrique des néons, une infection se répand. À croire que tout le monde s'est mis à faire les mêmes cauchemars chaque nuit. Je connais ce rêve. Celui qui me réveille en sueur, le cœur battant à tout rompre, un cri dans la gorge... Comme si on m'avait fixé un rocher aux pieds et jeté du haut d'une falaise. Nobody Wants to Die a beau être un jeu d'enquête classique, il a une âme. Des moments de respiration où, après une épreuve, James Karra s'appuie à une rambarde, allume une cigarette, et pense à New York. À ce que la ville est devenue. À la mort, à la vie après la mort – pour peu que ce soit encore possible de mourir dans une société consumériste qui force les jeunes à hypothéquer leurs corps dès leurs 21 ans. Quitte à se retrouver littéralement sur une étagère, en cas de défaut de paiement...

Nobody Wants to Die propose aussi des mécaniques hyper intéressantes. Aux gadgets qui permettent de détecter les taches de sang ou de voir à travers les objets avec des rayons X, il faut ajouter le clou du jeu : un bracelet qui sert à rembobiner le temps, comme dans les phases d'enquête d'un Batman : Arkham Knight. L'effet est saisissant, quand un bar qui explose se reconstitue lentement sous vos yeux. Ou qu'une sénatrice chevauche un vieillard de 91 ans qui s'amuse dans le corps d'un jeune éphèbe... avant que les balles d'un tueur ne les séparent au ralenti façon Max Payne. Remontez le temps, suivez les projectiles, rétablissez la chronologie des événements : il y a du Return of the Obra Dinn dans le puzzle que constitue chaque scène de crime.
Est-ce que vous croyez au destin ? À la vie après la mort... ?

Les limitations

Chaque scène de crime présente un ou plusieurs cadavres à inspecter. La DA est sublime.

Liberty Avenue, Brooklyn. Personne ne met plus le nez dehors, comme pour se convaincre que ce monde immonde n'existe pas. Ils se recroquevillent dans leurs clapiers, animés par le seul désir d'économiser de quoi se payer un nouveau corps. Sans chercher à savoir si c'est par instinct de survie ou par pur égoïsme qu'ils vivent à crédit aux dépens des générations futures. Leur lutte désespérée pour grappiller un peu plus de vie... Voilà une manne dont certains n'hésitent pas à profiter. Pour résoudre chaque crime, il faut de la patience. Pour reconstituer chaque puzzle avec vos gadgets. Sachant que vous n'êtes jamais totalement libre de vos actions : le jeu vous balade de points d'intérêt en point d'intérêt, vous empêchant de relever les indices dans l'ordre que vous souhaitez et d'en tirer les conclusions à votre guise. Pas de déductions à la The Case of the Golden Idol ici : tout est sur des rails, et vous ne pouvez pas échouer.

C'est d'autant plus étrange que c'était théoriquement possible : il faut étudier plusieurs endroits successifs dans chaque scène de crime pour débloquer l'intégralité de la boucle temporelle, dans laquelle vous pouvez ensuite vous balader librement. Dommage donc que le jeu vous oblige à inspecter les indices dans un ordre choisi par avance – et ce même si vous avez repéré ici une blessure mortelle, là des impacts de balle, hélas pas dans l'ordre prévu par les développeurs. La réalisation a beau être somptueuse, du niveau d'un Cyberpunk 2077 patché, la liberté est minimale. Vous êtes sur des montagnes russes, sanglé dans des couloirs et des énigmes bien ficelées, avec des moments vraiment spectaculaires, cinématiques. Mais sans la moindre liberté. Une décision de game design qui épouse le propos liberticide du jeu, mais qui frustre clairement. Les ficelles sont un peu grosses.
Le jeu vous oblige à inspecter les indices dans un ordre prédéterminé

Pour qui ?

Votre femme décédée vous hante. Vous ne saurez jamais vraiment pourquoi, même à la fin... Dommage.

Liberty Island, Manhattan. Le silence, comme si tous les cris et borborygmes de la ville s'annulaient les uns les autres... comme si rien n'avait de sens. Il suffit de cinq ou six heures pour terminer l'enquête. Pendant que le générique de fin défile, c'est l'incompréhension : le jeu répond à peu de questions soulevées, et n'a pas l'air de tenir compte des décisions prises en cours de partie. Est-ce une bonne fin ? Une mauvaise ? Difficile de trancher, surtout que l'unique sauvegarde automatique vous bloque sur le générique et vous empêche de tester d'autres choix, d'autres embranchements. L'impression que vous pouvez faire n'importe quoi, comme brûler des preuves, sans que cela ait le moindre impact sur le déroulement du jeu, laisse un goût amer en bouche.

Reste que si vous aimez passer des pièces au peigne fin pour détecter des indices (avec les développeurs qui vous tiennent gentiment la souris ou la manette pour vous montrer où regarder et dans quel ordre), Nobody Wants to Die est fait pour vous. C'est un jeu court, certes. C'est un jeu bancal aussi, hyper directif, terriblement linéaire. Au rythme haché, avec un climax à Liberty Island qui retombe comme un soufflé. Qui donne l'impression que les développeurs ont changé le dénouement à Central Park à la dernière minute, dans la précipitation – tant rien n'a de sens. Mais c'est aussi un jeu qui vous laisse une impression durable grâce à son atmosphère poisseuse, son monde liberticide et corrompu, ses décors sublimes. Et ses personnages cassés qui se débattent dans leurs névroses. Un jeu qui a une âme, et de vrais moments de grâce.
Il faut à peine cinq ou six heures pour voir une des quatre fins, cryptiques

L'anecdote

Ce n'est pas parce que le jeu vous dit qu'un choix est déterminant pour la suite qu'il l'est.

« Vos décisions pèsent sur le cours de l'histoire. » Comme dans The Walking Dead, certains choix s'accompagnent de cette mention intimidante : boire de l'alcool, voler une bonne bouteille sur une scène de crime, détruire des preuves auront des conséquences... Et comme dans The Walking Dead, c'est hélas trop souvent du pipeau. Certains événements doivent se produire, quels que soient vos choix ; et bien que de nouvelles options de dialogues apparaissent selon ce que vous avez fait ou dit précédemment, cela n'aura aucune influence sur le déroulement du jeu ni sur le comportement de tel ou tel personnage clef.

Cette mention est surtout là pour vous responsabiliser, voire vous culpabiliser. Reste qu'il suffit de relancer une partie pour se rendre compte de la supercherie. Il y a quatre fins, très similaires, toutes cryptiques, avec quatre choix déterminants seulement pendant toute l'enquête – dont un à la toute fin du jeu. Moi qui m'étais fait un plaisir de jouer les flics alcooliques, voleurs et agressifs lors de mon premier run, je m'attendais à des sanctions qui ne sont... jamais tombées. Soupir. Comparé à Detroit : Become Human avec ses multiples embranchements à visualiser (et à modifier) en cours de partie, c'est forcément la douche froide.
Detroit : Become Human avait tracé un sillon que Nobody Wants to Die ignore
Les Plus
  • L'ambiance, la direction artistique, la réalisation
  • La bande-son, musiques et bruitages – notamment les déformations sonores quand on joue avec le temps
  • Les dialogues et respirations entre deux scènes de crime : une réussite
  • Le petit prix, 25 € seulement
Les Moins
  • Les indices à étudier dans un ordre précis pour chaque scène de crime : dommage
  • 90 % des choix sans conséquences, à part quatre d'entre eux (dont un à la toute fin)
  • Cinq à six heures seulement, sans possibilité de rejouer un chapitre ; une fois le jeu fini, la sauvegarde automatique vous bloque au générique de fin
  • Un bug vous empêche de valider les options de dialogues au clavier sur PC, et c'est impossible à reconfigurer : jouez à la manette en attendant...
Résultat

Nobody Wants to Die passe à deux doigts du chef d'œuvre. Les quatre fins, toutes décevantes, achèvent une enquête qui commençait à partir en boudin après la déception de son faux climax, sur Liberty Island. Le tueur en série reste élusif, ses motivations et son mode opératoire obscurs ; et le jeu retombe comme un soufflé, abandonnant des pans entiers de scénario comme les apparitions spectrales de votre ex-femme Rachel. Pire, vos décisions martelées comme critiques par le jeu n'ont en réalité aucun impact, à part quatre d'entre elles sur cinq ou six heures de jeu (voir encadré). Restent l'ambiance, exceptionnelle, et quelques dialogues particulièrement inspirés sur la mort, la liberté et le capitalisme débridé – cités en italique dans ce test. Suffisamment pour donner au jeu son âme. Mais pas assez pour le faire entrer dans la cour des grands. Vivement une suite, car ce premier jeu (jet ?) est prometteur.

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