Test | Citizen Sleeper 2 : Starward Vector
30 janv. 2025

Dans l'espace, personne ne vous entend rager

Testé par sur
Citizen Sleeper 2

Vous aimez souffrir ? Si oui, Citizen Sleeper 2 : Starward Vector est fait pour vous. Dans ce visual novel de survie spatiale avec des dés, l'échec fait partie intégrante de l'expérience.

L'histoire

Ça commence mal : vous êtes débranché en plein reboot par Laine, un mafieux qui veut récupérer votre corps d'androïde et formater votre conscience au passage. Vous fuyez avec Serafin, un pilote impulsif. Vous voilà perdu au milieu des étoiles, aux confins du système d'Helion, à bord d'un vaisseau de fortune. Le réparer est hors de prix. Rester trop longtemps au même endroit impossible. Recruter un équipage indispensable mais dangereux... Le manque de crédits et de temps vous obligent à embaucher des inconnus qui ont tous un double agenda, qui vous mentent, qui voient en vous un moyen d'atteindre leurs propres objectifs. Souvent à vos dépens. La ceinture d'étoiles Starward est la poubelle d'Helion, et les bons sentiments mènent au cimetière. Votre situation désespérée vous force à prioriser le prochain ravitaillement plutôt que l'amitié ou la répartition équitable d'un butin. Comme dans Frostpunk 2, ou Papers, Please, vous n'avez pas les moyens financiers de vos idéaux...
La fin du mois passe avant la fin du monde

L'écriture

Pour échapper à Laine, il faut régulièrement changer de station – une des nouveautés de cette suite.

Citizen Sleeper 2 est un visual novel, un jeu essentiellement narratif : comptez deux cent cinquante mille mots, l'équivalent d'un livre de huit cent pages environ. En anglais uniquement, sans traduction française à la sortie – autant dire qu'il vaut mieux être bilingue. Si c'est votre cas, l'écriture est géniale. Il y a du Disco Elysium dans ces colonnes de texte à droite, ces interrogations métaphysiques sur ce qu'est la conscience, sans oublier quelques passages techno-mystiques dignes d'un Maurice G. Dantec. Les descriptions sont à la fois ciselées et vivantes. Les dialogues percutants. Le rythme est excellent aussi : le jeu sait parfaitement mettre en valeur les moments de tension, nombreux, en variant jusqu'à la longueur des textes pour vous faire languir avant un déchaînement de violence, de phrases courtes. Le fait que tous les protagonistes rencontrés aient une forte personnalité ainsi qu'une part d'ombre vous implique fortement. Vous devez prendre des décisions difficiles, parfois avec un test de compétence et un pourcentage de réussite associé. Ces choix colorent les émotions que vous projetez sur les personnages et les situations – même si recommencer une partie montre vite que cela affecte rarement le reste de l'histoire.
Yu-Jin le boulet mérite le sas, mais c'est le seul équipier avec de l'Endurance... Que faire ?

Le gameplay

Les dés faibles sont souvent inutiles. Pensez à votre compétence spéciale pour déclencher un reroll.

En plus de rendre hommage aux Livres dont vous êtes le héros (ah, Ian Livingstone !), Citizen Sleeper 2 emprunte aux jeux de plateau. Chaque action coûte un jet de dés. Vous en avez cinq (neuf maximum en mission, avec deux équipiers) : autant dire que vous allez souvent peser le pour et le contre de chaque choix. Prenez l'invasion d'un tanker spatial par exemple, dont vous cherchez à vous emparer en déclenchant une mutinerie. À chaque jet de dé qui échoue, le capitaine Lotic devient de plus en plus méfiant. Si sa jauge de suspicion atteint 8 crans, il appelle des renforts. Problème : il faut passer un tour, ou cycle, pour recharger vos dés. Et la jauge de Lotic, ou stress, augmente d'un cran à chaque cycle...

Pour compliquer le tout, chaque action est plus ou moins risquée, les plus dangereuses exigeant un dé de cinq ou de six pour éviter un malus. Il faut aussi avoir la bonne compétence : demander à un Opérateur qui a zéro Endurance d'aider à décharger des conteneurs diminue la valeur du dé inséré... Sans compter que les dés ont aussi une jauge de santé, ils peuvent s'abîmer voire casser. En bref : plus vous ratez d'actions, plus vous cumulez d'handicaps. Le côté aléatoire des dés et la difficulté extrêmement élevée, même en mode Facile, fait que vous réussissez toujours sur le fil, ce qui est grisant... mais aussi que vous échouez souvent. Sans que cela conduise à un Game Over pour autant, qui vous permettrait de recommencer la mission. Le jeu valide votre échec, sauvegarde automatiquement (il n'y a aucune sauvegarde manuelle possible), puis vous dit de prendre votre sac en jute, vos fèves, vos raisins secs et de vous casser à Montélimar. Vraiment : vous ne compterez pas les missions ratées, parfois à UN cycle (tour) près, où vous rentrez bredouille à la station la plus proche. Souvent parce que le jeu vous donnait trop de dés de un ou de deux. Frustrant. Injuste.
Plus vous perdez, moins vous avez de chances de vous en sortir (vicieux)

Pour qui ?

Faites un maximum de missions pour engranger de l'XP et devenir le plus versatile possible.

Il faut avoir le cœur bien accroché pour encaisser Citizen Sleeper 2. Ce n'est pas parce que vous avez adoré le premier opus que vous allez aimer le second : cette suite est unique, entre visual novel, jeu de rôle plateau et surtout mécanismes de survie exacerbés. Il ne ressemble à aucun autre. Si ce jeu était un film français, ce serait Mon Roi de Maïwenn : un jeu où quand, dégoûté une fois de trop par un énième tirage de dés inutiles, et alors que la souris glisse sur le bouton désinstaller, Vincent Cassel vous rappelle que c'est vous qui êtes venu le chercher. Que vous l'aviez calculé quand même. Que vous saviez à quoi vous attendre : un jeu généreux, riche, complexe, difficile, passionnant, violent, épuisant, difficile, toxique. C'est tout ça à la fois, Citizen Sleeper 2.
Vous n'en sortirez pas indemne. Sans pour autant le regretter

L'anecdote

Le traumatisme : rester coincé en chemin, faute de carburant.

Ce jeu m'a fait craquer tellement de fois. Encore plus qu'un Elden Ring, même quand vous canez à deux pas de vos dix mille runes perdues. L'injustice liée au tirage arbitraire de dés m'a poussé à me couvrir la tête de cendres en maudissant les Mésopotamiens, probables inventeurs des dés vers moins cinq mille avant J-C. L'économie est pétée : je me suis retrouvé sans carburant pour rejoindre Greenbelt, un astéroïde clef dans le jeu, sans station service et sans Endurance pour aider à siphonner la seule réserve disponible (la faute au personnage de base que j'avais choisi, l'Opérateur – ne prenez pas le même). Faire le plein de carburant est encore plus douloureux que dans la vraie vie : vous gagnez en général dix ou douze crédits par dé, alors que le moindre plein en coûte cinquante (et de nourriture, soixante-quinze). Vous allez en passer des cycles à juste farmer des crédits et à vous faire troller par le jeu avec des dés de un ou de deux qui ne rapportent quasi rien.

Je me souviens avoir reposé le Steam Deck, sur lequel le jeu tourne parfaitement, et avoir pensé : en fait, je ne m'amuse pas. Mais là où j'ai senti le jeu aspirer mon âme, c'est sur les missions avec un nombre de tours limités. Comme ce bunker à percer, avec un seul équipier doté de l'Endurance nécessaire, Yu-Jin... qui tire deux fois de suite des dés inutiles. Sans compétence "Push" pour booster ses dés (vraiment, jouez la classe Extracteur). Sachant que je n'avais que cinq tours de nourriture pour faire toute la mission. Là, j'ai insulté la sauvegarde automatique qui empêche de revenir en arrière. Cela dit, une fois le jeu laborieusement fini, après quatorze heures et deux cent cycles, force est de constater que j'aime beaucoup cette suite. Les thèmes qu'il aborde : identité, possession, technologie. L'ambiance aussi, avec ces bruitages de réacteurs qui ronronnent et ces quelques notes de musique éparses. Ces personnages cassés – il y a une brutalité et une dangerosité permanentes qui évoquent immédiatement les meilleurs jeux de survie. Et qui vont vous hanter longtemps, même une fois le jeu terminé. D'ailleurs il m'obsède : je n'ai qu'une envie, c'est de recommencer une partie en Difficile, avec le mode Permadeath. Aidez-moi...
J'ai pensé en farmant des crédits ou en ratant une mission d'un rien : en fait là, je ne m'amuse pas
Les Plus
  • L'écriture visual novel très réussie
  • Les choix moraux à faire
  • Les systèmes de jeu complexes avec les dés, comme dans un jeu de rôle papier
  • La tension extrême des missions qui se gagnent ou se perdent au cycle (tour) près
  • Les petites jauges à remplir partout, avec des bruitages si satisfaisants
  • Toutes les interrogations sur la technologie, la conscience, la liberté, qui traversent le jeu
  • Compatible Steam Deck (textes un peu petits) et macOS
Les Moins
  • La difficulté injuste : mauvais tirage de dés plusieurs tours d'affilée, malus cumulés, coûts de nourriture et de transport...
  • Sauvegarde automatique uniquement : un choix osé vu la difficulté et le côté arbitraire des dés
  • Pas de traduction française au lancement
Résultat

Citizen Sleeper 2, c'est un peu le conjoint toxique : vous l'aimez, mais vous savez bien qu'il abuse de vous. L'histoire est top (sauf la fin, un peu abrupte), les protagonistes attachants, les systèmes de dés complexes et l'exploration passionnante. Qu'est-ce qui cloche alors ? La difficulté, souvent injuste quand vous ramassez deux voire trois fois de suite une main catastrophique avec des dés inutiles, alors qu'il ne vous reste plus que quelques tours pour réussir une mission. Le tout avec une sauvegarde automatique impitoyable. Vous avez l'impression que le jeu vous maltraite volontairement, que les probabilités ça ne marche pas comme ça. Un peu comme quand vous ratiez deux fois de suite un tir à 90 % de réussite dans XCOM 2. À vous de voir comment vous réagissez face à l'injustice : vous allez sûrement tomber amoureux de ce jeu généreux, tout en vous détestant de l'aimer. Ah, et ce conjoint ne parle qu'anglais, accessoirement.

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