Test | Blacksad : Under the Skin
17 déc. 2019

La balade des pendus

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Blacksad : Under the Skin

Les pendus reviennent à la mode, et c'est tant mieux. Comme le fabuleux Disco Elisyum, le jeu d'enquête Blacksad : Under the Skin remet les pendus à l'heure : à mi-chemin entre les Fables de Jean de la Fontaine et celles de Bill Willingham, vous allez vous balancer de fausses pistes en faux témoignages, ballotté par les mensonges des uns et des autres, à l'image du pendu sur lequel vous enquêtez. Comme disait le poète : « Puis çà, puis là, comme le vent varie, à son plaisir sans cesser nous charrie. »

L'histoire

Rien de tel qu'un bon pendu pour lancer une partie de Cluedo géante dans ce New York des années 50, où les animaux caricaturent les humains. Le chat détective John Blacksad enquête sur la disparition d'un boxeur, soupçonné d'avoir aidé le propriétaire d'une salle de sport à se pendre. C'est Sonia Dunn, la jolie fille du propriétaire fraîchement pendu, qui vous embauche sur le conseil du gorille Jake Ostiombe (un pote de votre ex que les fans de la BD connaissent bien). Cette chasse à l'homme va vous balader d'un diner banal à un labo clandestin, en passant par les docks, un cimetière ou... un court de tennis. Les suspects se succèdent, et à chaque fois que vous croyez avoir découvert le coupable, un nouvel indice vient rebattre toutes vos cartes – vos rares amis, qu'il s'agisse de la fouine photographe reporter Weekly ou du flic berger allemand John Smirnov, prennent d'ailleurs un malin plaisir à vous demander régulièrement si vous êtes sûr de vos théories. Basée sur une histoire originale (voire « L'anecdote » plus bas), cette enquête est le seul gros point fort du jeu.

Le principe

Observer les témoins permet de découvrir des indices à utiliser (ou pas) pendant la discussion.

Si vous avez déjà joué à un jeu Telltale, à The Wolf Among Us ou à Batman : The Telltale Series au hasard, vous connaissez la chanson : chaque lieu doit être fouillé à la recherche d'indices, et chaque témoin doit être interrogé, souvent plusieurs fois. Vous pourrez aussi observer certaines scènes au ralenti, et zoomer sur un point précis comme le blouson d'un fuyard ou une paire de chaussures dans une armoire, en utilisant votre odorat de chat (tiens, ça sent la sardine !), votre ouïe (les battements de cœur) ou votre vue (une page d'agenda). Un concept très réussi mais sous-exploité, complètement absent d'une partie de poker par exemple, et à peine effleuré lors d'un interrogatoire. Observer un poing qui se crispe ou écouter le pouls d'un témoin donne des petits frissons à la Lie to me, hélas trop rares.

Pas d'inventaire toutefois, ni de combinaisons farfelues d'objets, et c'est une bonne nouvelle : les joueurs qui se griffent le visage en repensant aux énigmes tordues des Monkey Island-like peuvent respirer. Dans Blacksad : Under the Skin, on se contente d'associer mentalement les indices entre eux pour aboutir à des déductions. Assez simples au début, ces déductions peuvent nécessiter la combinaison de trois voire quatre indices différents, et vous feront gamberger un moment. Le jeu triche un peu en ne vous donnant des indices clefs qu'à la toute fin du jeu, mais c'est pour le suspens et pour que vos déductions erronées, un coup à gauche, un coup à droite, rendent hommage au balancement des pendus.
The Cat Among Us

Les QTE

Cette action est impossible à réussir. Vous reprendrez bien un écran de chargement ?

Comme dans les jeux Telltale, vos choix de dialogue ont un prétendu impact sur les protagonistes. Un message « Vous avez réussi à amener Sonia à voir les choses du bon côté » s'affiche par exemple en haut de l'écran si vous choisissez de l'encourager dans un moment difficile. Dans les faits, aucun impact sur les dialogues suivants, ni sur l'attitude de Sonia ; ce type d'artifice donne juste une coloration à votre approche de détective. Vous pouvez consulter un résumé de vos actions pour voir si vous avez été plutôt intègre ou pragmatique, solitaire ou romantique – mais sans la moindre comparaison avec la moyenne des autres joueurs. Vous n'êtes pas « noté » après chaque chapitre, une signature Telltale qui aurait tellement apporté à l'enquête : vous soupçonnez tel témoin, les autres joueurs tel autre.

Certains suspects ont le sang chaud et vont vous attaquer : à vous de vous défendre en appuyant sur le bon bouton au bon moment, lors de Quick Time Event (QTE) inégaux. Certains QTE ne donnent pas d'indication claire à l'écran, ou alors trop tard : vous allez parfois vous manger deux-trois uppercuts, voire prendre une balle parce que vous avez sauté à droite et pas à gauche, avec un écran de chargement à la clef dans le pire des cas. Sans parler des choix perdus d'avance : n'essayez pas de sauter sur un ennemi armé, même s'il vous tourne le dos, même si vous le faites depuis une rambarde ou un toit, vous finiriez systématiquement chez le taxidermiste. Les sauvegardes automatiques sont heureusement nombreuses, mais vous obligent à revoir des animations et des dialogues que vous ne pouvez ni accélérer, ni zapper – frustrant.
De Flingues et de Crocs

Pour qui ?

La modélisation et les expressions ne font pas toujours honneur à la BD.

Si vous ne connaissez pas trop la BD, que vous aimez les enquêtes bien ficelées et les Telltale, Blacksad : Under the Skin devrait vous faire passer 8-9 heures agréables. À condition d'ignorer les nombreux bugs inexplicables, comme ces moments où Blacksad refuse brusquement de bouger ou de franchir une porte, vous forçant à relancer le jeu. Ou ces deux chapitres en temps limité, avec un panda roux « 360 no scope » et un barbier sociopathe, où tous les défauts du jeu mènent une gigue endiablée : pourquoi mettre un chrono si serré quand Blacksad souffre d'une lenteur et d'une inertie indignes d'un félin, que les hit box mal réglées vous ralentissent quand vous essayez de contourner un pauvre meuble, et qu'il est impossible de sauter un dialogue ou une scène vue et revue à cause d'un Game Over ? Saupoudrez de bugs et de temps de chargement longuets, et vous découragez les joueurs les moins patients après seulement 3-4 heures de jeu.

Pour les fans, dommage que la modélisation 3D et les animations faciales ne rendent pas justice au trait de Juanjo Guarnido. Blacksad est trop droit, rigide, impassible – on ne reconnaît pas la boule de nerf féline de Quelque part entre les ombres, notamment dans les duels à l'arme blanche si stylisés dans la BD, ou dans les fusillades. Même en colère, quand il fronce ses sourcils 3D, on a du mal à reconnaître sa rage des planches 2D. Si les reptiles sont impressionnants, Poli et Mitchell par exemple, tous les animaux à fourrure ont des traits grossiers, un problème récurrent même pour les jeux AAA (coucou les wookies de Fallen Order). On ne retrouve pas non plus son côté charmeur, vu que ce Blacksad de pixel est totalement asexué : pas d'actrice à séduire avec une rose entre les canines, pas de chatte écrivaine sexy à l'horizon, ce qui n'a pas empêché nos confrères de PC Gamer de s'étouffer dans leur puritanisme. Ce Blacksad trop lisse ne taquine pas non plus Weekly – l'humour est aux abonnés absents. Enfin la caméra souvent aux fraises (elle oublie parfois un travelling...) ne retrouve pas l'élan cinématographique des plus belles planches de la BD, celles détaillées dans le hors-série Les Dessous de l'enquête avec son hommage au Kingpin de Mazzucchelli. Et ce malgré quelques tentatives, comme le copié-collé des rues de New York à travers les stores du bureau de Blacksad. Le résumé de l'enquête sous forme de planches, avec un filtre cartoon, accentue le loupé : dommage, peut-être, que le jeu n'ait pas été en 2D.
Une bonne enquête, un mauvais Blacksad

L'anecdote

Poli a un rôle important dans Under the skin.

Situé chronologiquement entre les BD Arctic-nation et Âme rouge, Blacksad: Under the skin est une histoire originale gorgée de références aux albums de Juan Diaz Canales et Juanjo Guarnido. Certaines sont triviales, comme les chutes du Niagara ou un extincteur. D'autres plus fouillées, comme Poli le saurien dans son bar billard La Iguana, clin d'œil à deux planches très réussies de Quelque part entre les ombres. Les fans du chat noir vont retrouver le photographe Weekly, toujours accro aux milkshakes au bourbon, le commissaire de police John Smirnov ou encore le fidèle gorille Jake Ostiombe, dont certaines mimiques dans le jeu sont carrément tirées de la BD. On sent le fan service à tous les étages, aidé par les créateurs de la BD qui d'après le chef produit Olivier Figère ont validé l'histoire, la direction artistique, les voix et les musiques. Et même ajouté une référence au scénario du prochain tome...
« Frères humains, qui après nous vivez, N'ayez les cœurs contre nous endurcis. »
Les Plus
  • L'enquête et ses fausses pistes
  • Certains choix influencent l'histoire
  • Les clins d'œil à la BD
  • Un pendu et plein de cadavres
Les Moins
  • Beaucoup trop de bugs
  • Déplacements patauds, hit box mal dégrossies
  • Modélisations 3D et animations pas à la hauteur de la BD
  • Certains QTE punitifs, les flashbacks en temps limité
  • Impossible de passer les dialogues déjà vus X fois
Résultat

Quelle tristesse ! Blacksad : Under the Skin oscille entre bugs horripilants et moments de tension efficaces, modélisations bancales et personnages attachants, maniabilité lourdaude et déductions intéressantes, QTE horripilants et enquête passionnante, comme un pendu magnifique au bout de sa corde. Trop inégal, il risque de refroidir les fans de The Wolf Among Us qui n'avaient pas grand-chose à se mettre sous la canine depuis les soubresauts morbides de Telltale et qui attendent religieusement sa suite. Pour les plus courageux, toutefois, ou les plus affamés, ce Blacksad cache dans sa manche un dernier tiers passionnant, avec des surprises, des retournements, des drames, du sang et des larmes. Trop peu, trop tard.

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