Les origines de Doom : de l'ombre à la lumière
08 janv. 2024

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Doom fait partie de ces titres qui raisonnent forcément en chacun d'entre nous, d'une manière ou d'une autre. Premier shooter de pré-adolescence et LAN-parties associées, première interaction avec les bases de game design qui traceront une lignée de descendants tel un Adam survitaminé, premières prises de position paniquées des associations catholiques face aux "dangers" du jeu vidéo, ou tout simplement premier jeu à donner son nom à un genre : Doom-like, précurseur de FPS. Mais une fois cela dit, savez-vous vraiment comment est né Doom ? Quels efforts deux gros nerds, Carmack et Romero ont dû fournir avec leur équipe de timbrés pour réaliser sur PC un défilement aussi fluide que Mario sur NES ?


Le paradis des gamers.


Les origines de Doom, tout juste sorti fin 2023 chez Third Editions est en réalité une réédition du livre sorti en 2004 : Masters of Doom (traduit en français en 2010 sous le titre Les maîtres du jeu vidéo). Il faut avouer que la communication de l'éditeur sur cette réédition n'est pas limpide et donc non, il ne s'agit pas d'une version revue et augmentée, mais bel et bien de la version originale (de 2004) dans une nouvelle traduction réalisée par Laurent Jardin, portant un bagage impressionnant de traductions dans le jeu vidéo et livres dédiés. Et donc, si l'ouvrage original Masters of Doom est déjà arrivé entre vos mains, passez votre chemin (voyez en fin d'article pour des recommandations). Autrement, installez-vous confortablement, vous allez être happé dans une épopée typique du XXe siècle : celle de deux nerds fauchés, aussi géniaux qu'étranges, déterminés à tout péter dans le monde du jeu vidéo. John Carmack et John Romero, les deux ados qui vont tuer le game à 21 ans avec un premier hit : Wolfenstein 3D.



Au sommaire de l'épopée.


Au commencement, il n'y avait pas Internet. Et avant Internet, pour découvrir de nouveaux jeux, il y avait les magazines dédiés, qui chaque mois vous envoyaient glissées entre les pages quelques disquettes de jeux programmés par des individus. Les magazines étaient des éditeurs, une partie des joueurs des créateurs, et John Romero était l'un d'eux. En scrutant le code de certains jeux, il voyait le génie de quelques développeurs autodidactes. Il a d'abord voulu tenter comme eux d'envoyer ses jeux aux magazines, d'abord sans succès puis (en résumé) il parvient à se faire embaucher à plein temps par un mag afin de l'alimenter en jeux dédiés à une nouvelle plateforme : le PC. Là, Romero cherche à recruter une petite équipe et va aller chercher John Carmack, un développeur tout aussi génial que lui, parlant le même langage mais à la personnalité très différente. Romero est expansif, volubile, Carmack est discret, effacé. Il n'empêche qu'ensemble ils vont créer quelques titres à succès mais ça, c'est pendant les heures officielles de boulot. Car Carmack a enfin trouvé comment faire pour avoir du scrolling fluide, chose impossible jusqu'alors sauf sur la NES de Nintendo. Et un matin, alors que Romero arrive au bureau, il y a une disquette et un post-it sur sur PC : « Essaye ça — John ». Ce que Romero va insérer dans son lecteur 3,5 pouces va révolutionner l'industrie vidéoludique. Rien que ça.



Tout a commencé par Wolfenstein...


À l'écran démarre une copie de Super Mario Bros., mais sur PC, avec quelques personnages et décors différents. Romero n'en revient pas. Ce que ses collègues voient, c'est une manière de porter Mario sur PC, ce qu'ils proposeront à Nintendo, sans succès. Mais ce que Carmack et Romero voient, c'est surtout une toute nouvelle manière de jouer. La technologie est là, le code est prêt, ne reste plus qu'à concevoir un jeu qui en jette. Et pas chez leur éditeur actuel. Ainsi, alors que la petite équipe travaille soir et week-end dans leur colocation (transportant les énormes PC à chaque fois, vous imaginez), naît le titre fondateur du genre FPS : Wolfenstein 3D en même temps qu'une boîte au nom bien connu : iD Software.



Avec des morceaux de dialogues dedans.


L'ouvrage retrace admirablement les différentes étapes qui ont mené à la création de Doom, puis ses successeurs dont Quake. D'abord, l'origine du concept, de l'idée, des technologies de l'époque qui ont convergé vers ce que Doom allait devenir : un shooter nerveux, ultra fluide, en totale opposition avec les standards de l'époque. Il fallait se distinguer, frapper fort, amener de l'énergie dans un paysage vidéoludique un peu plan-plan. Ensuite, les pérégrinations juridiques de deux jeunes créateurs dans leur vingtaine, rêvant d'autonomie et de liberté, chose qu'ils réussiront avec iD Software. Et puis, la réalité d'un studio dans les années 1990 : les doutes, les tensions, les engueulades, le crunch qui n'avait pas encore de nom, le stress en décalage pour savoir si le public adhère au jeu (n'oubliez pas : la distribution se faisait surtout par disquettes !)... Avec des entretiens fouillés, l'auteur parvient à nous faire vivre, presque comme si vous y étiez, la vie de concepteur de jeu de l'époque.



L'origine d'un titre qui a déchaîné les passions.


Cet ouvrage est donc un indispensable pour toute personne qui s'intéresse de près ou de loin à la création de jeux d'anthologie. D'autant qu'en filigrane, vous vivez la naissance et la mort d'un duo parmi les plus iconiques. Les deux John se sont aimés, les deux John se sont quittés, chacun vivant aujourd'hui ses propres aventures. Un mot supplémentaire sur John Romero : il évoque dans l'ouvrage une astuce que j'ai depuis la lecture originelle de Masters of Doom appliquée à mon quotidien... Pour Doom (1993), il a créé le premier niveau en dernier. En effet, après avoir designé tout le jeu, chaque niveau avec ses particularités, il a terminé par le niveau d'ouverture au lieu de commencer par celui-ci dans son process. Pourquoi ? Tout simplement parce qu'ainsi, le premier niveau est un aperçu de quelques mécaniques mises en place plus tard ; il propose de manière intuitive un tutoriel mais également un avant-goût de la puissance du jeu. Imparable.

Bonus : en juillet 2023, John Romero a publié son autobiographie : Doom Guy: Life in First Person. Et contre toute attente, cet ouvrage ne fait pas réellement doublon. Il s'agit en grande partie de la narration de sa jeunesse et ce qui l'amènera à se tourner vers les jeux vidéo (c'était pas gagné mais quel acharnement... !) et de sa vision du duo qu'il a formé avec Carmack. Vous y apprendrez énormément de choses complémentaires, les deux ouvrages sont donc à lire sans retenue.

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