L'ado pénible qui s'améliore
- Éditeur Square Enix
- Développeur DON'T NOD Entertainment
- Sortie initiale 30 janv. 2015
- Genre Aventure
Le titre du studio parisien Dontnod s'avère plutôt séducteur sur le papier : un gameplay accessible sur la base d'exploration / dialogues / interactions, une héroïne qui se découvre le pouvoir de remonter le temps de quelques minutes, un environnement en Oregon à l'ambiance si particulière, le tout découpé en épisodes à l'écriture scénaristique allant crescendo. Après un début un peu difficile, Life is Strange s'apprivoise dans la durée et c'est tant mieux.
L'histoire
Alors qu'elle se réfugie aux toilettes pour laisser éclater son chagrin, Max assiste, sans être vue, à une dispute entre un de ces gosses de riche et... mais oui ! c'est bien sa meilleure amie oubliée d'il y a cinq ans qui est en train de se faire menacer ! Il sort une arme et, dans la confusion, tire. Max voit son amie mourir sans avoir eu l'occasion de lui parler du bon vieux temps. Sous le choc de l'émotion, Max – enfin vous – se concentre très fort et fait reculer le temps de quelques minutes. Elle ne sait pas comment, mais cela vous permet à présent de trouver une solution pour faire diversion et empêcher cet incident. Pour Max, qui a sauvé son amie, c'est pas tout ça mais la journée continue : il faut aller se faire des copains.
Le principe
Pour éviter (ou revoir) la gifle, remontez le temps.
Des petits défis vous sont ainsi proposés. Pour faire avancer l'histoire, vous devez vous rendre dans votre dortoir récupérer une clé USB. L'entrée est bloquée par ces garces du Vortex Club, ces fils et filles à papa. Avec quelques interactions assez simples combinées à votre pouvoir temporel, vous pourrez augmenter la puissance de l'arrosage automatique et provoquer un petit accident de peinture, les éclaboussant en beauté. Libre à vous ensuite de vous moquer ou de tenter de pactiser avec l'ennemi.
D'autres interactions présentent des choix plus importants : ils ont un impact sur la suite de l'histoire. Lorsque vous retrouvez, plus tard, votre ex-meilleure copine, vous aurez le choix de la couvrir face à son beau-père violent ou de la laisser se prendre une gifle sous vos yeux. L'impact porte sur une situation qui n'est pas présente dans ce premier épisode puisque le scénario suit son cours dans les deux cas. Ce qui représente une certaine frustration, qui se ressent également dans certains dialogues aux embranchements relativement plats. Quand vous faites, pour le sport, l'effort de vivre deux fois le même dialogue en prenant des embranchements différents, il est assez dommage de se rendre compte que le résultat est absolument identique. Si l'idée est intéressante et que le concept donne globalement envie de se tracer sa propre ligne directrice, les choix présentés restent trop anecdotiques ou invisibles pour dégager autre chose qu'une vague impression de ce qui pourrait se produire. Ce qui laisse espérer que les conséquences se projettent au long terme, à travers les épisodes suivants.
L'ambiance
Le genre de choix hyper compliqué.
La mélancolie permanente qui règne dans Life is Strange n'aide pas à s'emparer du personnage de Max pour en faire quelque chose. Avec son regard de chien battu, ses expressions qui varient du sourire triste à un sourire un peu moins triste, Max ne respire pas vraiment la joie de vivre. Ses camarades de classe non plus : entre le geek tabassé, celui qui fait des dessins tout seul sous son arbre, la fille sous Prozac qui se fait harceler par le vigile ou sa copine punk qui vit sans lendemain, vous naviguez dans une ambiance déprimante à souhait. Ouvrir le menu vous fera poser des questions plus existentielles : regrettez-vous votre adolescence ? Le menu représente le carnet de notes de Max : un énorme carnet de scrapbooking. Pourquoi pas, mais le ton employé est extrêmement naïf, ce qui, encore une fois, crée une certaine distance avec l'héroïne. Pourtant elle sait super bien dessiner les papillons.
Pour qui ?
Oui, je suis une bitch qui balance ses copains.
L'ambiance et l'univers contribuent fortement à l'idée que ce titre ne s'adresse pas spécialement à un public adulte, mais plus précisément au public adolescent féminin. Toute altercation entre deux personnages devient la fin du monde, toutes les filles semblent amoureuses de leur prof de photo et les adultes représentent l'autorité sans être réellement liés aux étudiants... Mais il semble difficile de se projeter, en tant que joueur ado, dans cette ambiance à la frontière entre la fin d'enfance et le rejet total du monde adulte.
L'anecdote
"Chambredefille.jpg"
Épisode 2 - Out of Time
La scène de fin glaçante de l'épisode 2 : une réussite
Le principe général reste inchangé : vous évoluez dans une zone assez restreinte, que vous pouvez explorer librement en observant les objets ou discutant avec les personnages, jusqu'à déclencher des interactions qui font avancer le scénario. Les dialogues restent aussi peu décisifs pour la plupart. À la différence d'un point & clic qui nécessite de soutirer des informations de la part des personnages, ici 90 % de vos échanges, même à choix multiples, aboutissent au même point. Seules quelques rares décisions se révèleront importantes pour la suite. C'est notamment le cas de la scène de fin de cet épisode, assez impressionnante, dans laquelle votre pouvoir vous a abandonné. Tout repose donc sur ce que vous avez pu apprendre sur la vie d'un personnage lors des échanges précédents pour au final l'arracher à une mort quasi certaine... ou échouer.
Malgré un aspect naïf toujours omniprésent, cet épisode plus convaincant contribue à relever la note globale du titre.
Épisode 3 - Chaos Theory
Cette photo n'existait pas avant que vous remontiez loin dans le temps...
Dans ce troisième volet, l'issue de la tentative de suicide de Kate a des effets assez forts sur votre environnement. Si vous êtes parvenu à la sauver, bon nombre de personnages vous en féliciteront et vous verrez votre popularité augmenter, sans pour autant que cela vous facilite la tâche dans vos actions. Cet épisode se focalise davantage sur votre relation avec votre amie d'enfance, Chloé, en rébellion depuis que son père est mort dans un accident de voiture. Vous passez votre temps à décider entre prendre sa défense en tant qu'amie, ou la raisonner pour la faire basculer dans le monde adulte, au risque qu'elle vous en veuille à jamais. Mais vous vivez également avec elle des moments d'amitié forte, voire de romance ambigüe.
Si les trois quarts de l'épisode n'apportent que peu d'intérêt à l'histoire globale, ils ont pour objectif de sceller votre destin à celui de Chloé. Comme d'habitude, vous essayez de résoudre les quelques énigmes qui planent sur le campus en discutant avec des personnages, remontant dans le temps après avoir obtenu une information pour les confronter, ou juste leur échapper. Jusqu'à ce que Dontnod ajoute une idée forte au jeu : remonter encore plus loin dans le temps. En regardant une photo vieille de 10 ans, vous replongez dans le passé, ce fameux jour tragique où Chloé a perdu son père, quelques instants avant l'accident. Vous avez entre les mains la possibilité de changer à tout jamais le destin de Chloé. Et le vôtre par extension. Une fin d'épisode qui remet tout ce que vous savez à plat, et surtout ouvre les yeux à notre héroïne sur une vérité dure à entendre : quels que soient vos choix, aucun n'est parfait... On espère que l'épisode suivant maintiendra cette nouvelle dynamique.
Épisode 4 - Dark Room
Chaude ambiance dans votre nouvelle réalité.
La seconde partie de ce chapitre ne vous épargne pas davantage. Rachel Amber devient votre priorité numéro un, tandis que vous commencez à recoller les morceaux de sa mystérieuse disparition. Vous êtes prévenu : nouvel ascenseur émotionnel en vue, avec visite approfondie du troisième sous-sol. Ce quatrième épisode de Life is Strange est de loin le plus complet. Vous retrouvez les classiques phases d'exploration et dialogues, générant des conséquences dans votre relation avec les personnages. Mais aussi de nombreuses séquences nettement plus intenses aux enchaînement de dialogues qu'il ne faut absolument pas rater sous peine d'user de votre pouvoir de rembobinage temporel. Une fois que vous disposez de toutes les informations en mains, vous vous improvisez Sherlock Holmes en étalant les preuves devant vous. Pour la première fois, le jeu vous demande d'être un tantinet intelligent en mettant en lumière les relations logiques entre vos preuves. Jusqu'à découvrir sous vos yeux ébahis l'horrible vérité, avec un nouveau cliffhanger auquel vous vous attendez depuis deux épisodes parce que vraiment, les gens trop sympathiques, c'est louche.
Avec son histoire qui commence enfin à s'emboîter et à vous surprendre, cet épisode contribue même à relever la note globale du jeu d'un point.
Épisode 5 - Polarized
Il est temps de mettre en œuvre toutes vos facultés mentales
Oubliez les papillons, les coloriages sur le carnet de notes : Max a traversé trop d'épreuves pour rester la naïve adolescente du début de l'aventure. Secouée, malmenée, entrainée malgré elle dans des rivalités ou situations dangereuses, elle fait tout ce qui est en son pouvoir pour revenir à une situation normale. Et la clé de tout cela se situe au point de départ qui a engendré toutes ces situations, tel un effet domino : quand elle a utilisé pour la première fois son pouvoir temporel pour sauver son amie Chloé d'une blessure par balle. Mais avant de parvenir à ce raisonnement, vous aidez Max à s'échapper de son ravisseur. Enfermée dans la chambre noire, Max n'a d'autre possibilité que de plonger dans des photos pour revenir très en amont dans l'histoire. L'occasion pour vous de revivre des scènes déjà jouées mais en changeant radicalement la donne. Les différents essais vous amènent à des issues différentes. Il vous faut combiner tout ce que vous avez appris jusqu'à présent pour vous en sortir : rembobinage dans le temps, déplacement d'objets par le retour en arrière, dialogues persuasifs... Jusqu'à finalement errer dans un entre-monde complètement délirant, qui traduit bien le paradoxe temporel dans lequel Max s'est enfermée.
Comme il faut s'y attendre, l'histoire ne se termine qu'à l'issue d'un terrible choix, qui ne vous laissera pas suffisamment satisfait pour ne pas tenter l'alternative possible, curieux que vous êtes ! Au final, Life is Strange est un titre pour lequel vous éprouvez de la sympathie. Ses lignes sont grossières, son style est attendu, sa mécanique simple à l'enjeu limité, mais il reste un jeu attachant. D'une première impression assez négative due à une ambiance girly trop marquée, vous aboutissez à un ensemble cohérent, progressif, avec quelques scènes très fortes loin de laisser indifférent. Ces cinq épisodes s'imbriquent parfaitement et marquent une très nette évolution dans l'approche, s'orientant davantage vers le tragique au fur et à mesure des événements. Et Life is Strange réussit parfaitement à vous remettre tous les choix entre les mains. À vous d'en retirer quelque chose de positif.
- Arcadia Bay semble dotée d'un potentiel de lieux que l'on souhaiterait explorer
- Malgré un style surchargé et son ton naïf, le scrapbook de Max est très riche et intéressant
- La prise en main et l'entrée dans l'univers sont soignées
- La direction artistique ne s'adresse pas à tous
- La déprime ambiante règne dans le campus
- Des choix sans conséquences ou identiques au sein de dialogues
- Pas de réelle mesure des conséquences de nos actes dans l'épisode d'introduction
- Des choix de plus en plus difficiles à assumer au fil des épisodes
- Une progression clair dans l'enchainement des épisodes
Le bilan du premier épisode de Life is Strange fut mitigé. Le doute était posé sur les capacités du jeu à offrir des choix aux conséquences lourdes dans la trame scénaristique. De plus, la direction artistique choisie et l'ambiance girly qui en découle avaient de quoi surprendre au premier contact. Au fil des épisodes, il semble maintenant clair que tout ceci n'est qu'une apparence. Car le scénario est bien plus noir qu'il n'y parait de prime abord. Même si cela reste en marge de la trame principale, vos choix ont à présent des conséquences palpable dans le jeu, changeant votre relation avec les personnages qui seront à même de vous aider ou non à moment clé de l'histoire. Histoire qui, clairement, écrase de son talon boueux votre scrapbook remplit de papillons mignons. Si cela va de mal en pis pour notre héroïne au fil des épisodes, le bilan se révèle de plus en plus positif.