Test | Faith
30 oct. 2024

Confessions nocturnes

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Qui aurait pu penser qu'un jeu composé littéralement de 3 couleurs et de 120 pixels pouvait autant flanquer la frousse ? Faith réussit l'exploit de provoquer une peur insidieuse, malaisante, sale, avec les seules contraintes d'une Atari 2600. Et quand tout espoir est perdu, que même la police refuse de s'en mêler, il ne reste plus que l'Église et ses exorcistes. Mais par quelle diablerie Faith nous a envoûté ?

L'histoire

Connecticut, 21 septembre 1986. Dans la nuit noire, vous arrêtez votre voiture sur le bord d'une route. Ni vraiment enquêteur, ni simple prêtre, dans quoi vous vous êtes encore fourré ? Dehors, c'est à peine si vous pouvez discerner l'entrée du terrain boisé, où un chemin peu praticable mène à une maison évidemment abandonnée. Tandis que vous traversez les bois, un cerf s'enfuit. Il n'a pas peur de vous, bien au contraire, il fonce droit sur vous et vous évite de peu. Que fuyait-il ? ou qui ? Vous tombez sur un puits, légèrement éclairé. En vous approchant, vous trouvez une note manuscrite : visiblement, la famille qui habitait là a préféré fuir l'endroit, abandonnant derrière elle leur fille aînée. Comment peut-on abandonner un enfant ?


Vous réagissez comment avec ça au pied de votre lit ?


Vous poursuivez votre chemin quand soudain un cri strident perce la nuit : une forme humaine désarticulée vous tombe dessus, telle une araignée lancée à pleine vitesse. Pétrifié, votre seul réflexe est de dégainer votre crucifix. Quelle chance, la vue de la croix fait fuir cette créature. Avant sa fuite vous avez pu voir dans un clair de lune fugace son visage. Vous auriez juré discerner une adolescente de 14 ans. Comment est-ce possible ? Vous voilà enfin dans la maison, visiblement abandonnée dans la précipitation. Des traces de sang mènent à la cave. Et... C'était quoi ces bruits à l'étage ? Vous serrez fort votre crucifix au point de ne plus sentir vos doigts...
Requiescat in pace

Le principe

Je suis persuadé d'avoir vu quelque chose bouger dans le reflet du miroir.

Tout dans Faith puise dans une culture presque oubliée du jeu vidéo : un écran statique découpé en tableaux, dans lesquels vous entrez par les côtés ; des décors succincts, qui suffisent à évoquer les attributs des éléments (une porte, un escalier, un arbre, une cave de torture...) ; quelques cut-scenes en rotoscopie ; et surtout, une histoire narrée par l'intermédiaire de notes disséminées ça-et-là, récupérées en invoquant le bon Dieu devant des objets possédés. Ce principe du "mémo narratif" a été exploité, abusé, galvaudé au fil des années. Si de prime abord récupérer les notes peut vous fatiguer, à la lecture d'une ou deux l'effroi vous saisit.


Ces traces de pas qui apparaissent derrière vous : VADE RETRO !


Comme en pleine lecture d'une nouvelle de Lovecraft, vous ressentez le besoin de tourner les pages. Qu'est-il arrivé à cette femme qui a perdu son enfant, alors qu'à chaque visite chez le docteur une grand-mère plantée devant la porte lui faisait un large sourire... cette même grand-mère qui plusieurs semaines après le drame tenait en ses bras un bambin de l'âge qu'aurait eu son propre enfant ? En quelques éléments visuels, narratifs, sonores, Faith vous plonge dans son monde entrecoupé de séances plus actives d'exorcisme : armé de votre crucifix, vous évitez les êtres possédés pour leur brandir la preuve de votre foi et leur faire abandonner le corps emprunté des pauvres victimes.
Diabolus ex machina

L'ambiance

Ces traces de sang n'étaient pas là en quittant la pièce.

Le tour de force de Faith c'est de vous faire plonger dans son univers avec le strict minimum. À l'heure où des titres surfent sur la surenchère technique (Until Dawn et sa grosse update PS5, le remake de Silent Hill 2), Faith prend un contre-pied visuel surprenant mais diablement efficace : une forme furtive dans un coin de fenêtre suffit à se faire dresser vos cheveux sur le crâne. Votre héros, prêtre vêtu de noir où seul son col blanc transperce la pénombre ambiante, est votre seul point d'attache dans cet univers déviant. Le tout avec une poignée de pixels pourtant si parlants.


Un puzzle hyper malin qui joue des limites techniques.


Avec une histoire écrite au cordeau, une tension sonore millimétrée, sa progression digne des meilleurs films de série B, le titre vous concocte la recette parfaite de la séquence d'horreur. Pas l'horreur gore ou absurde, non, celle qui prend aux tripes, vous glace le sang en une fraction de seconde, l'horreur insidieuse qui s'installe et devient la normalité.
Lux in tenebris

Pour qui ?

Une cave, un prêtre, un adolescent.

C'est compréhensible, le style minimal de Faith peut rebuter. Mais il vous faudra le dépasser. Avec même un peu de chance, vous serez a minima intrigué ? Dans la lignée des jeux Amstrad du milieu des années 1980, Faith aurait certainement fait un carton à cette période. Une fois cet aspect visuel écarté, c'est clairement la structuration narrative qui marque le plus le titre. Ses trois chapitres regorgent de moments d'exception, prouvant la maîtrise de l'effroi par le développeur solo, Mason Smith sans s'appuyer uniquement sur des visuels horrifiques.
Memento mori

L'anecdote

Ne dites pas que ça ne fait pas flipper.

Ça faisait longtemps que je n'avais pas eu réellement peur devant un jeu. Trois souvenirs ancrés à jamais dans ma mémoire : Outlast, qui a sérieusement réinventé un genre en décrépitude, dans lequel je me souviens hurler devant ma télé en étant poursuivi par des mecs pas très friendly. Il y a eu aussi une démo proposée par Cyberith : c'était la première fois que j'essayais un tapis avec un casque VR, moyen bien pratique pour fuir en courant (et en hurlant) dans cette démo inspirée par Resident Evil.

Et puis, il y a maintenant Faith. Je ne pensais pas une seconde sentir mon sang se glacer avec aussi peu de pixels, et pourtant la première rencontre avec la créature a donné le ton. Plus tard, quand j'ai exploré une maison à l'abandon, j'ai clairement vu une forme à travers la fenêtre, j'en suis persuadé. Fugace. Mais bien présente, en tout cas assez pour me faire stopper net et écouter chaque petit bruit. Non, clairement, Faith c'est le jeu de pure horreur que peu de titres parviennent à créer.
Post mortem
Les Plus
  • Des histoires saisissantes
  • Jouez avec le son !
  • Les animations en rotoscopie
  • Un retour à la peur, la vraie
  • Faire autant avec si peu, quel tour de force
  • L'Église ambivalente et sa mission de purification
Les Moins
  • Certains boss à la collision un peu fantoche
Résultat

Ayez la foi dans Faith. Son choix audacieux de replonger dans les contraintes technologiques du milieu des années 1980 n'est qu'une façade. Sa construction de l'horreur, sa narration, son ambiance sont les véritables éléments du titre et vous seriez bien surpris de constater qu'il est possible d'être saisi d'effroi avec si peu d'éléments à l'écran. Des traces de pas ensanglantés qui apparaissent dans l'ombre de votre personnage et vous voilà parano pour le reste du jeu. Un petit bijou comme on n'en fait plus.

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