Être ou ne pas être
Cela faisait 20 ans que nous n'avions pas eu d'adaptation de RoboCop. C'est pour le moins surprenant ! En effet, à l'annonce de RoboCop : Rogue City et en y réfléchissant un instant, voilà une idée qui, par ses thématiques et une exécution décente, avait tout pour faire mouche en 2023. Bonne nouvelle : la mission de Murphy est accomplie... et mieux encore !
L'histoire
Fidèle aux films et se déroulant entre les deuxième et troisième volets, le titre de Teyon nous place évidemment dans la peau du policier devant faire régner l'ordre (et parfois enquêter) dans un Detroit malfamé. L'un des principaux problèmes n'est autre que la nuke, la drogue à la mode, mais aussi – à l'instar de ce qui se passe dans les trames d'antan – les entreprises et même plus généralement les corporations ainsi que la corruption. Au final, le gang des Vautours ne sera qu'un problème parmi d'autres. Toujours est-il que Rogue City fait preuve d'un dévouement bienvenu et plutôt déconcertant de prime abord – hélas légèrement tiré vers le bas par la technique, mais nous y reviendrons.
Le principe
Vous retrouverez des clins d'œil, des personnages, mais aussi Peter Weller qui reprend son rôle.
Mais l'œuvre pose aussi cette autre question, toujours fascinante avec le jeu vidéo : est-ce que l'identification à un personnage change tout ? C'est le côté astucieux de ce titre étonnant dans le fond, qui s'assume pleinement comme un objet d'incarnation, de consumérisme et de pulsions brutales, tout en le justifiant de la façon la plus simple qui soit : vous êtes RoboCop, et force est de constater que ce cher Murphy ne pourrait de toute façon pas faire grand-chose d'autre vu sa condition. Une chose brillante est alors d'humaniser la liaison avec le joueur en jouant sur la lenteur, la perception, les hallucinations, les choix... Bref, faire en sorte que l'utilisateur fasse corps avec la machine, sur le plan narratif mais aussi à travers les touches de son périphérique.
Lorsque vous visez avec la gâchette, un filtre CRT donne encore plus l'impression d'être RoboCop.
Tout cela prend une tournure génialement absurde vers la fin de l'aventure, quand les ennemis standards se transforment en chair à canon, face à un joueur-robot devenu si fort qu'il enchaîne les tirs en pleine tête machinalement. De quoi presque parodier le genre, voire le médium. Pour apporter un peu de variété, les développeurs ont misé sur le moteur graphique et quelques idées de game design et mécaniques, permettant tout de même l'implémentation d'effets visuels pas toujours folichons, mais qui ont le mérite d'être présents (particules, dégâts environnementaux, explosions ou lancers d'objets). Des arbres de compétences finissent de rendre l'expérience assez complète pour qu'elle ne paraisse pas trop monotone. Au passage, le jeu propose une progression cohérente et équilibrée au sein d'espaces semi-ouverts, laissant la part belle à une exploration où les quêtes "Fedex" ont rarement eu autant de sens – RoboCop étant le service public idéal. Des décors qui, s'ils ne sont pas incroyables, ont souvent la bonne idée d'être variés.
L'ambiance
Vous pouvez changer votre carte mère et obtenir des améliorations et capacités.
Le gameplay
Le jeu est assez vivant, avec des PNJ relativement nombreux et disposés dans des lieux crédibles.
- Un jeu qui a du sens, avec de vraies ambitions artistiques
- Étonnamment généreux et bien écrit
- Un game/level design ingénieux
- Le sentiment d'incarner RoboCop, et que tout est calibré correctement (vitesse, dégâts, etc.)
- La place sensée de l'identification
- L'ambiance visuel, et quelques effets réussis
- Les musiques (incluant le thème de la saga), les doublages et le mixage sonore
- L'Unreal Engine 5 permet des bases solides, et un rendu parfois très agréable à l'œil
- Pas de HDR (plus tard ?)
- Une expérience VR ajouterait encore plus de symbolique à tout ça
- Parfois des déceptions sur le plan graphique (textures, etc.)
Non seulement RoboCop : Rogue City est fidèle à l'œuvre d'origine (au point de s'inscrire comme un prolongement), mais il offre par sa seule existence, sa technique et son game design une vraie réflexion sur le médium. C'est souvent le propre des satires populaires : dénoncer tout en étant des produits de leurs temps. Rogue City n'invente pas grand-chose, et il est même parfois bas du front. Mais c'est justement en transformant le joueur en robot ultraviolent au service de l'ordre (et de la population), en justifiant sa brutalité et quelques absurdités du jeu vidéo moderne par le simple fait de jouer RoboCop, que le titre interroge. C'est finalement dans cette identification souvent radicale que le médium a écrit son histoire, et c'est en l'utilisant comme il se doit que Teyon compose la sienne. Il serait aisé de croire que tout cela est facile à mettre en place, mais la générosité évidente, un certain sens du détail ainsi que le soin apporté à la progression nous rappellent que ça ne l'est pas. Produit à licence et sorte de faux blockbuster contemporain, RoboCop : Rogue City est à sa façon un travail d'auteur, de précision et une belle mécanique... avec une âme ?