Test | Dragon's Dogma 2
27 mars 2024

Le jeu de rôle au service du jeu vidéo

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Dragon's Dogma 2
  • Éditeur Capcom
  • Développeur Capcom
  • Sortie initiale 22 mars 2024
  • Genre Action

On peut dire qu'on aura attendu un sacré bout de temps avant de voir arriver une suite à Dragon's Dogma. Il faut dire que l'œuvre initiale, sortie sur Xbox 360 et PlayStation 3 en 2012, a fait son bonhomme de chemin petit à petit, à force de bouche à oreille et de promos agressives sur les boutiques en ligne. Résultat : un titre devenu culte auprès des adeptes des jeux de rôle. Il restait donc à savoir si Dragon's Dogma 2 serait à la hauteur de son modèle.

L'histoire

Dans un monde en proie à un chaos dormant, vous êtes l'Insurgé, un élu voué à un destin héroïque, et ayant perdu la mémoire après s'être fait dévorer son cœur par un dragon. Pour débuter votre périple, pas grand-chose si ce n'est quelques obligations — vous êtes visiblement célèbre — ainsi qu'un partenaire : votre pion. Serviteur personnalisable, il sera votre meilleur allié avec deux autres compagnons choisis dans le royaume (ou via le online). Très vite, vous apprenez qu'à l'origine, vous étiez l'Archimonarque, un roi qui, en conséquence de sa bataille contre le monstre, a tiré un trait sur ses souvenirs ainsi que sur son trône. En effet, celui-ci a été réclamé par un usurpateur se revendiquant également comme l'Insurgé, bien aidé par l'une des dames fortes de la couronne : Disa. Inutile de dire que ça sent le complot à plein nez.

Dragon's Dogma 2 a un scénario qui se laisse suivre, qui se révèle même parfois prenant, mais le jeu ne brille pas tant par ce dernier que par son game design, ses situations ou même sa progression. Toutefois, il convient d'évoquer le ton global de l'histoire, lorgnant sans surprise du côté de la dark fantasy et proposant des personnages en rapport. Si le récit n'est pas le point fort de l'expérience en soi (outre une symbolique et un aspect méta, sa vraie force), c'est parce que le titre préfère diluer celui-ci dans un amour de la démesure. Dans Dragon's Dogma 2, tout se fait à échelle humaine, ce qui laisse penser que des cinématiques trop clinquantes nuiraient à cet attrait pour l'identification et l'immersion. Nous allons voir que ce parti pris est au final très malin.
De la dark fantasy avec un rapport réaliste au temps

La vision

Complots, dragons et jeux de pouvoir sont au programme.

Quiconque s'est essayé à Dragon's Dogma sait que ce premier épisode était incroyable (entre autres) pour une raison très simple : il remplissait la promesse faite par Skyrim six mois plus tôt — et alors non tenue. Comprendre qu'il offrait un monde vivant, digne des jeux de rôle, avec la particularité de proposer des combats épiques et variés contre de grosses bestioles (dragons, griffons, etc.). Sa suite reprend évidemment cette volonté en l'adaptant plus ou moins aux technologies actuelles. Néanmoins, le vrai constat que pose Dragon's Dogma 2 n'est pas ici. Il est vis-à-vis du médium et de son évolution : douze ans plus tard, le principe est en soi toujours aussi singulier.

Nous pourrions penser que Final Fantasy VII : Remake/Rebirth et (surtout) le récent succès de Baldur's Gate 3 nuiraient à l'aura du bébé de Capcom, mais c'est en fin de compte tout le contraire. Le cas du titre de Larian est même fascinant : jeu de rôle par excellence et jusqu'à l'absurde (lire notre test ici), Baldur's Gate 3 demeure en définitive un jeu vidéo assez discutable — que ce soit dans ses mécaniques ou son élitisme puant, allant jusqu'à priver le joueur d'un tutoriel décent. De son côté, Dragon's Dogma 2 a la bonne idée d'être pleinement ancré dans son médium, plutôt que de transposer « bêtement » l'expérience papier.
Un jeu de rôle mais pas seulement

Le principe

Le gameplay est ultra dynamique et grisant. Les coups spéciaux se débloquent très rapidement.

Cela se voit de diverses façons. Quand le titre de Larian n'est naturel que par son exploration et son récit (sauf à la fin de l'aventure, où les choix sont plus grossiers), l'œuvre de Capcom reste un pur jeu vidéo, certes hommage aux jeux de rôle mais qui ne renie jamais son statut pour autant. Cela implique une narration organique, mais pas tant par des décisions ou des jets de dés que par le game design. Dans Dragon's Dogma 2, vous êtes toujours (ou presque) maître de votre destin, dans la mesure où le gameplay — dynamique et spectaculaire — vous donne l'impression d'être responsable de votre sort. Un sentiment évidemment accentué par le réalisme global de l'expérience.

Là où l'aspect Donjons & Dragons de Baldur's Gate 3 était avant tout mécanique (sauf dans son exploration, obligatoirement mise à niveau), celui de Dragon's Dogma 2 est on ne peut plus dilué dans son médium. Plus encore que le premier volet, il étonne par ses environnements, par la progression du joueur au sein de ces derniers, mais aussi par sa façon de faire de l'évènement de gameplay (couplé à la démesure) la véritable vedette sur le plan narratif. Dans ces moments, l'expérience rappelle évidemment les Souls et plus exactement Elden Ring — son monde ouvert et sa fameuse narration environnementale.

D'ailleurs, cela vaut tout autant pour la gestion des pions (déjà présents dans le premier Dragon's Dogma) qui bonifie comme jamais cette fonctionnalité popularisée par Demon's Souls. Prenez un compagnon en ligne et il aura peut-être des conseils à fournir lors de situations précises (points faibles de boss, chemins, etc.). Ainsi, vous éduquerez aussi votre acolyte principal et pourrez l'envoyer à votre tour à d'autres joueurs, avant qu'il ne vous fasse son rapport à l'auberge suivante. Un système ingénieux et d'un naturel surprenant (il faut voir vos camarades prendre l'initiative d'ouvrir des coffres, ou vous inviter à emprunter un chemin) quand on sait que la sélection des serviteurs informe de leurs connaissances ou non de la mission active.
Le gameplay au centre de l'expérience

Quand vous recrutez un pion, vous voyez son niveau, son caractère et sa connaissance de la mission.

Mais revenons à nos moutons... Le réalisme jusqu'au-boutiste de Dragon's Dogma 2 renforce évidemment le côté organique. Déjà, il y a tout ce rapport au gameplay émergent : en fonction de votre classe (modulable cours de l'aventure), les possibilités varient. Avoir un bouclier sera différent d'avoir un arc, et être un mage permettra d'influer sur l'environnement avec plus de facilité. Toujours est-il qu'il se dégage de tout cela une appropriation du temps et un sens du spectacle participant pleinement à votre enthousiasme. Agrippez-vous à un monstre comme dans Shadow of the Colossus et cherchez son point faible pour avoir l'impression d'avoir abattu un géant. Vous ne voulez pas le faire ? Peut-être pouvez-vous alors inciter vos camarades à sauter sur votre bouclier afin de les propulser dans les airs ? Inutile de vous dire que ce genre de moment — assez fréquent à l'échelle de l'aventure — finit par être plus important que la plupart des révélations du récit. Et attendez-vous, pendant les prochains mois, à voir fleurir sur Internet de nombreuses vidéos disséquant toutes les possibilités offertes par le jeu.
Les Drivatars de Forza mais en mode RPG ?

La technique

Deux moyens réalistes de voyager : ces charrettes (de ville en ville), ou des pierres (très rares).

La différence avec un Baldur's Gate 3 (qui propose aussi une vision libertaire), c'est évidemment que Dragon's Dogma 2 livre une jouabilité bien plus engageante. Là où le titre de Larian offrait des combats au tour par tour avec une interface fastidieuse (placement des unités, inventaire, etc.) et des choix de game design douteux (des jets de dés omniprésents), l'œuvre de Capcom s'affranchit de ces soucis en se dirigeant vers l'action et en prolongeant son aspect immersif à travers le gameplay et la mise en scène. Les affrontements ont du peps et même le rapport à l'environnement (sauts, etc.) est souvent déroutant de réalisme, puisqu'il met en exergue l'une des forces du jeu : son moteur physique. Dans Dragon's Dogma 2, passez sur un pont en bois et vous verrez celui-ci tanguer. Rapidement, on vous préviendra que ce type de structure peut être détruite pour venir à bout des ennemis ou autre. Toujours est-il que vous êtes toujours au plus proche de l'action, et plus globalement du spectacle.

Tantôt magnifique, tantôt assez quelconque, le titre a toutefois pour lui sa direction artistique réussie pour un éblouissement de chaque instant (on parle autant des panoramas que des combats contre de gros bestiaux). Arpentez un chemin et voilà qu'un volatile géant ou un dragon vient atterrir à quelques dizaines de mètres de votre position, quand ce n'est pas un troll déblayant des arbres pour affronter des humains ou vous foncer dessus. Non, Dragon's Dogma 2 n'est pas un cador technique : il possède des textures à l'occasion décevantes, il fluctue entre 30 et 40/50 fps (pour information, ça ne nous a jamais gêné sur Xbox) ; mais il a justement pour lui un émerveillement qu'on avait perdu depuis le spectaculaire Monster Hunter World (tiens tiens...). On en oublierait presque les quelques vrais couacs de l'expérience : le pathfinding des compagnons, incroyablement naturel mais parfois douteux, et surtout quelques choix étranges comme ce bruit numérique constamment exagéré lorsqu'il fait sombre, et qui met à mal le rendu de l'image — en espérant qu'il puisse être désactivé un jour.
Souvent très beau

Pour qui ?

Le jeu gère le jour, la nuit et le temps : n'attendez pas pour sauver quelqu'un, il peut mourir.

Pour ce qui est de la cible à laquelle il se destine, quelque chose est tout de même à noter : lors de ses premières heures, Dragon's Dogma 2 ne se différencie pas plus que cela de son prédécesseur. Il faut jouer quelque temps pour vraiment voir l'apport de cette suite en matière d'échelle et de subtilités — que ce soit d'un point de vue graphique (décors gigantesques et paysages à couper le souffle), sur le plan du spectacle, ou dans sa façon de construire un level design aux petits oignons. C'est en scrutant les détails que l'on se rend compte de l'évolution entre les deux titres. Avancez à votre rythme et observez votre personnage regarder en l'air : peut-être que des ennemis vous tendent une embuscade. La démesure des environnements et la complexité du monde ouvert, couplées au fait que l'expérience ne vous tient jamais par la main, peuvent surprendre de prime abord. Délicieuse sensation, au début, de ne pas savoir exactement où aller et de constater qu'un PNJ nécessaire à une quête a en réalité péri sur la route — on s'attendait à ce qu'il réapparaisse dans le coin. L'objectif change alors, vous demandant de trouver un autre itinéraire faute de laissez-passer. Tout aussi savoureux, ce moment où vous sortez d'un temple englouti, voyant des traces de sang sur les rochers bordant le trajet. Et si un monstre, même petit, venait à se saisir de l'un de vos compagnons pour le projeter dans l'eau — le condamnant à une mort certaine à cause de Kraken ? Voici un bien beau sentiment de peur.
Plus qu'un Dragon's Dogma 1.5

Si cette passerelle est détruite, il faudra attendre plusieurs jours pour la reprendre.

Ce rapport quasi fusionnel à notre héros met quelques heures à se dessiner. Toujours est-il que l'on peut comprendre que l'investissement demandé (ne serait-ce que pour prendre le temps d'étudier tous ces détails) est en quelque sorte conséquent. Quelqu'un qui a fait le premier Dragon's Dogma récemment peut même, sans doute, avoir un sentiment de déjà-vu et faire une légère overdose. À tout cela, il faut ajouter que l'aspect technique n'aide pas non plus. Le jeu est fréquemment magnifique, les ralentissements tant décriés ne sont en réalité pas évidents à observer sur Xbox... mais il est vrai que le début de l'aventure n'est pas non plus incroyable sur le plan visuel. Ou plutôt, pour le dire noir sur blanc : l'émerveillement est ici dramaturgique, calculé de main de maître, quand des expériences à plus gros budget cherchent à en mettre plein la vue de façon constante, dès le départ. Rien de grave en soi, bien au contraire, mais les quelques premières heures peuvent donner au titre des allures de Dragon's Dogma 1.5. Enfin, il convient d'évoquer un public cible en particulier : Dragon's Dogma 2 est en quelque sorte le Souls que beaucoup de joueurs — rebutés par la difficulté — réclament. Une œuvre exigeante, réaliste, mais qui n'est pas punitive outre mesure lors de ses affrontements et game over.
Un Souls-like accessible ?

La théorie

Bien sûr que tout repose sur des scripts, mais le joueur a toujours cette impression d'y croire.

Dans sa construction et son approche de l'immersion, il est fascinant de voir que Dragon's Dogma 2 parie sur une forme de consentement du joueur. On parle au cinéma (et plus généralement dans l'art) de suspension d'incrédulité lorsqu'il est question, durant un film, de mettre de côté son scepticisme face à des situations étranges. S'il est légitime d'évoquer ce terme en abordant les scénarios, le jeu vidéo soulève peut-être un sujet bien à lui : et si ce concept pouvait se propager au gameplay ?

Un exemple mémorable que j'ai en tête est le cas d'Atomic Heart. Le monde semi-ouvert du titre inclut des robots agressifs, à même d'attaquer violemment le héros quand ils l'aperçoivent. L'œuvre de Mundfish est bourrée de systèmes de contrôle (caméra, rondes des ennemis, etc.) lors des phases d'infiltration ou d'exploration. Toutefois, le joueur ne sachant pas vraiment ce qu'il en est, il se forge ainsi sa propre peur : il tâtonne, pensant qu'il peut être vu, uniquement car il ne sait pas si un dispositif au loin est susceptible de le remarquer. La crainte est artificielle mais fonctionne.

Autrement dit, l'expérience repose en grande partie sur cette acceptation de l'individu, à savoir une construction mentale le poussant à croire en une situation — sans doute — plus machinale qu'elle en a l'air. Dragon's Dogma 2 rappelle un peu cette méthode. À force de multiplier les mécaniques et objectifs, ou même dans son rapport au réalisme, le titre compte au maximum sur la suspension d'incrédulité du joueur face au game design. Dans l'idéal, il ne doit pas trop gratter sous l'apparence. Le meilleur exemple s'avère être ces phases décrites comme de l'infiltration (« allez dans les quartiers de telle personne  ») mais qui n'en sont pas vraiment. L'utilisateur progresse lentement, fait attention, mais tout se base sur le fait qu'il comprenne l'intitulé et construise lui-même sa propre mise en scène, son approche de l'histoire et de l'immersion — il a en vérité très peu de chance de se faire gauler.
La suspension d'incrédulité vidéoludique

L’astuce

Pensez à varier vos compagnons : une équipe polyvalente permettra de viser tous types d'adversaires.

Petit problème qui fait polémique à la sortie du jeu : la localisation française du menu principal, et plus précisément du chargement des sauvegardes. La traduction n'étant pas claire du tout, il peut arriver que vous cliquiez sur le mauvais menu... et que vous perdiez une partie de votre progression ! Sachez donc que la première option est celle à privilégier et consiste à charger sa dernière sauvegarde rapide/automatique. Pour sa part, la deuxième revient à charger votre dernier passage dans une auberge (et donc en quelque sorte la vraie sauvegarde manuelle).
Un pépin qui peut coûter cher
Les Plus
  • Quelques panoramas et ambiances fantastiques (dans tous les sens du terme)
  • Un gameplay émergent et un rapport au réalisme incroyables
  • De très nombreuses bonnes idées (gestion des voyages rapides, etc.)
  • Le système de pions, vraiment bien fichu
  • Le naturel qui découle de la narration, y compris des conversations avec les compagnons
  • Un gameplay dynamique, au poil, "Made in Japan"
  • Un rapport à la surprise et au spectacle
  • Scénario plus prenant qu'il en a l'air au départ
  • Une vraie réflexion sur l'identification
  • La progression et la gestion de l'XP : parfaite et jamais frustrante
  • Baldur's Gate 3 version jeu vidéo
  • Souls version accessible (tout en restant exigeant)
Les Moins
  • Un sentiment de Dragon's Dogma 1.5 lors des premières heures
  • Quelques rares choix douteux (gestion de la luminosité, etc.)
Résultat

Notre test de Baldur's Gate 3 (rédigé par votre serviteur) avait semblé sévère aux yeux de certains. Pourtant, Dragon's Dogma 2 en est la parfaite explication. Vraie adaptation des jeux de rôle papier à un autre médium, le titre n'est certes pas exempt de quelques défauts, mais demeure pour sa part un sacré jeu vidéo. Ici, pas de tour par tour bancal, pas de jets de dés à gogo... non, Dragon's Dogma 2 est à la fois un vibrant hommage à un genre — à travers sa progression organique, son sens de l'évènement, etc. — et une expérience à la jouabilité ciselée. Aventure avant tout réaliste et ludique, l'œuvre de Hideaki Itsuno et son équipe ne mise pas à proprement parler sur un scénario ou des embranchements à n'en plus finir : il préfère insérer la surprise (et donc une forme de narration) au sein de son gameplay. C'est bien ce rapport au temps, à l'effort et à l'inattendu même dans l'action, qui fait de Dragon's Dogma 2 un immense jeu vidéo. Sorte de Souls-like accessible et spectaculaire — on parle ici, par exemple, des affrontements contre des boss et de la façon dont ils apparaissent —, mais aussi immersive sim qui ne dit pas son genre, le titre de Capcom justifie pleinement sa raison d'être et semble combler un vide datant de douze ans. C'est dire si certains chefs-d'œuvres, singuliers, ont parfois de l'avance sur leur temps. Peut-être qu'il en sera de même pour cette suite.

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Tribune libre