Quel gosier grand tu as
- Éditeur Larian Studios
- Développeur Larian Studios
- Sortie initiale 3 août 2023
- Genre Rôle
Mes aïeux ! Drôle de sensation que de s'occuper du test de Baldur's Gate III. Voilà plus de 20 ans que la série principale était portée disparue. Pour tout vous dire, Baldur's Gate II était l'un des premiers jeux PC de votre serviteur. Et autant être clair : en 20 ans, on a eu le temps de tout oublier ou presque. Cela tombe bien puisque le développement de Baldur's Gate III a cette fois-ci été confié à Larian Studios (Divinity), pour ce qui semble être un renouveau. Pour le meilleur et pour le pire ?
L'histoire
En dehors de cet aspect, il convient de s'attarder sur quelque chose de bien plus concret : les personnages, l'une des réussites du studio sur le plan narratif. Cela faisait longtemps que nous n'avions pas été marqués par de telles personnalités qui – rappelons-le – ne sont même pas spécialement nécessaires à l'aventure. Vous pouvez en laisser mourir ou en mettre de côté. C'est précisément dans ce détail que Baldur's Gate III prend toute sa démesure, lorsqu'il vous montre ce travail de finition colossal (et c'est loin d'être le cas de tous les autres compartiments du jeu), alors que bien des joueurs n'entreverront que 25 % des possibilités narratives offertes par l'expérience. Ainsi, malgré cette dimension facultative, le jeu brille par certaines émotions qu'il procure, qui plus est portées par un rythme assez palpitant (en ligne droite). D'un autre côté, soulignons quand même que Baldur's Gate III souffre d'un léger syndrome Breath of the Wild : si le gigantisme est présent en matière de relief et de donjons, le monde semble manquer de densité et il se dégage parfois l'impression qu'il n'est constitué que de quelques villages ou bastions. Ce n'est pas un drame, mais quelques cinématiques auraient pu donner plus d'ampleur aux enjeux de l'histoire. Sans vous en dire trop, le procédé est d'ailleurs employé dans le troisième (et dernier) acte.
Votre gardienne explique qu'elle doit partir car elle doit veiller sur d'autres... joueurs ?
À l'échelle du monde de Baldur's Gate III, sachez que tout cela relève d'une folie des grandeurs rarement vue dans un jeu vidéo (et encore plus ces dernières années). Néanmoins, cette façon de narrer une histoire s'avère parfois périlleuse. C'est le cas lorsque, sélectionnant une réponse sans conséquences apparentes, votre personnage engage finalement un combat. Certains diront que "c'est le jeu, ma pauvre Lucette", mais voici en réalité une sortie de secours bien aisée pour une expérience visant le meilleur, et donc la crédibilité et la précision. Nous aurions aimé, par exemple, un minimum d'indication quand une réponse s'avère belliqueuse alors qu'elle ne l'est pas fondamentalement au moment de sa sélection. D'autant que souvent, le jeu ne se prive pas pour nous proposer d'attaquer en fonçant tête baissée. C'est une critique fréquemment faite à bien des (mauvais) titres à embranchements narratifs, et il serait trop conciliant de passer outre ici.
Dernier reproche – et non des moindres – concernant la narration : il est usant d'être presque systématiquement privé de son libre arbitre lors des dialogues. Étant donné que la plupart des réponses nécessitent des jets de dés, il se dégage du titre l'agaçante impression d'être porté par le hasard plus que par des choix. On peut même se demander si cela ne va pas à l'encontre du médium. Plutôt que d'adapter et faciliter l'expérience d'un jeu de rôle papier, Baldur's Gate III la transpose avec un mimétisme un peu absurde, transformant le jeu vidéo en des amas de statistiques, et se servant de la démesure de son contenu comme d'une carte joker. Ici, le joueur n'a plus besoin d'être lui-même perspicace (responsable) puisque l'aventure, lors de ses dialogues du moins, ne le récompensera jamais à moins d'être soutenu par le hasard. Pour un jeu vidéo à but immersif, il y a un souci à autant mettre de côté le libre arbitre. C'est d'autant plus dommage que l'idée initiale du scénario (les parasites et l'Absolue) et l'allégorie qui l'accompagne auraient pu justifier bien d'autres partis pris. Fort heureusement, sachez qu'à certains moments pivots de l'aventure, le jeu se ressaisit en accordant (en laissant croire ?) au joueur le pouvoir qu'il mérite.
L'exploration
Bien sûr, vous pouvez incarner les quatre membres de votre groupe comme bon vous semble.
Il n'empêche que les possibilités sont sidérantes. Les interactions avec l'environnement, les embuscades, l'infiltration, la gestion d'éléments comme le feu, le vol à la tire, les relations, etc. C'est bien simple, il reste des dizaines d'exemples et vous ne pouvez avoir idée de la chose. Toutefois, le plus impressionnant reste l'aspect organique de la progression – qui va de pair avec la narration et la façon dont les personnages se "déploient" et interagissent les uns avec les autres. Plutôt corsé au niveau de la difficulté, Baldur's Gate III propose un cheminement criant de réalisme et le joueur a vraiment l'impression de construire son propre voyage. Vous pouvez faire des détours, rencontrer des individus, chercher votre chemin à tâtons... et de tout cela découle un réel sens de l'aventure et de l'exploration. Bien que parfois épuisant, ce sentiment de vulnérabilité est à coup sûr l'atout du jeu.
Les combats
Baldur's Gate III utilise la narration environnementale comme peu d'autres jeux savent le faire.
Là où le bât blesse, c'est plutôt dans le manque de peaufinage global des affrontements. Dans un jeu basé sur un trop plein de hasard, il y a quelque chose d'extrêmement frustrant à y ajouter le hasard des bugs et de la technique. Par exemple, la trajectoire automatisée des personnages est rarement la meilleure, vous obligeant à faire les déplacements en plusieurs étapes afin d'optimiser vos actions. Surtout, si vous appuyez simplement sur un ennemi à attaquer, il arrive que votre combattant fonce dessus en entrant dans les zones défensives d'ennemis alors qu'il aurait pu s'en passer. Dans le même genre, il est arrivé à plusieurs reprises que le relief des cartes soit mal géré, et qu'un personnage face un aller-retour inutile pour finalement se prendre une attaque ennemie au passage. Il y a quelque chose de particulièrement frustrant à voir le hasard de la technique se mêler au hasard des systèmes de jeu.
L'accessibilité
Les possibilités sont folles, et il faut parfois ruser pour esquiver/tendre des pièges.
Tout d'abord, il y a la configuration des touches à la manette : non pas que l'ensemble soit catastrophique (encore que), mais il faut une sacrée mémoire pour se souvenir de tous les menus et sous-menus. Le joueur se retrouve alors avec une manette surchargée de boutons plus ou moins utiles. Les joueurs PC trouveront probablement leur compte au clavier et à la souris, mais ceux sur consoles ne manqueront pas de constater la paresse de l'ensemble, et ce aussi bien sur le plan pratique qu'esthétique (bonjour l'inventaire). En revanche, le point sur lequel tout le monde devrait s'accorder est l'interface, qui multiplie les menus, sous-menus et inscriptions à n'en plus finir. Honnêtement, ça faisait longtemps que nous n'avions pas vu un truc pareil, et il est légitime de se demander si des efforts ont été ne serait-ce qu'envisagés.
Dans le même genre, le jeu fourmille de détails qui ne paraissent pas importants de prime abord, mais qui en fin de compte peuvent fatiguer. Bien que proposant de sauvegarder n'importe quand, le jeu ne fait que très rarement des sauvegardes automatiques. Plus important : il n'est pas rare de valider un dialogue (ou une action) sans vraiment le vouloir, à cause d'une latence en passant les cinématiques. Une touche "de secours" – permettant de passer des dialogues sans valider des choix – aurait été bienvenue. Dans un autre genre et aussi bizarre que ça puisse paraître, la mini-carte n'est pas fixe par défaut et tourne conjointement à l'axe de la caméra. Il faut penser aller dans les options pour régler ce souci. D'ailleurs, la carte du monde – déjà mal fichue – ne propose pas de voir les différentes strates du royaume, malgré la fonction de voyage rapide disponible. Il est donc parfois compliqué de visualiser la destination où vous souhaitez vous téléporter. La liste est extrêmement longue...
En matière de lisibilité et d'interface, le titre est à contre-courant des efforts de l'époque.
Le jeu n'indique pour ainsi dire qu'une partie de ses possibilités ; et il donne parfois l'impression de faire exprès de le faire mal, afin de laisser la communauté "gérer le reste" et profiter du gameplay émergent. La démarche est malheureuse dans la mesure où elle repose sur une sorte d'élitisme nauséabond – chose que des modèles libertaires comme Metal Gear Solid V : The Phantom Pain ou The Legend of Zelda : Tears of the Kingdom nous ont épargné. "N'indiquons pas cette fonctionnalité fondamentale au joueur, on risquerait de lui dire que ça peut être utile." Voilà ce que les développeurs semblent nous dire. Le parti pris est d'autant plus ridicule (ou maladroit) dans un jeu fourmillant d'autant de possibilités.
À notre époque, tout cela est bien regrettable puisque Baldur's Gate III aurait pu, par son univers, ses dialogues et le côté organique de l'ensemble, attirer bien des joueurs du dimanche. Il aurait pu être intéressant de s'adresser également à eux, en leur permettant par exemple de parcourir la majeure partie du monde, ne serait-ce qu'en voyageant de ville en ville (ou de région en région). C'est (avis personnel) ce que devrait toujours viser ce type de jeu basé sur un contenu colossal, et qui pourrait justement séduire les personnes qui voudraient juste se plonger dans un univers.
Pour qui ?
Quel dommage de ne pas avoir pensé aux joueurs qui auraient juste voulu se perdre dans ce monde.
Les graphismes
Notez le nombre de tours de l'ordinateur, en haut. Il y a le temps de se faire un café.
On regrette tout de même deux choses. La première, ce sont les temps de chargement paraissant interminables au lancement de l'expérience et des sauvegardes. On parle respectivement de trois minutes et d'une minute, ce qui est énorme – surtout si vous chargez des parties régulièrement. La deuxième, c'est que les combats sont franchement longuets par moment (10 à 15 tours joués par l'ordinateur) et qu'une fonction permettant de passer les tours, ou du moins de les accélérer, aurait pu révolutionner l'expérience. Nous avons bien conscience des éventuelles contraintes techniques qu'il peut y avoir là-dedans, mais si d'autres jeux le font... Ce point ne sera pas forcément pris en compte dans la conclusion de ce test, car nous supposons que cette fonctionnalité débarquera tôt ou tard, mais le fait est que d'ici là, entre les temps de chargement et les longueurs, le joueur est privé d'un plaisir régressif : celui de pouvoir jouer avec le destin et les probabilités.
La durée de vie
Les inspirations sont nombreuses : LOTR, Game of Thrones, Berserk, Dark Souls, etc.
Cela dit, reste la question de savoir combien de temps dure effectivement l'aventure. Et là, tout dépend de votre façon de jouer. Le jeu peut se parcourir (plus ou moins) en ligne droite en une soixantaine d'heures. Attention : le mot ligne droite est ici relatif. Il s'agit ainsi d'essayer de suivre la trame principale le plus naturellement du monde. Au passage, le calvaire proposé par la carte du monde peut faire perdre énormément de temps, et votre perspicacité sera donc mise à l'épreuve. Pour quelqu'un souhaitant remplir ne serait-ce que quelques quêtes secondaires, sachez que le nombre d'heures de jeu peut très vite grimper.
Surtout, il faut se rappeler que Baldur's Gate III brille par le côté organique de sa narration. De ce point de vue, vous serez éventuellement tenté de recommencer une partie pour voir ce qu'il en est des autres options. Passez à côté d'un personnage au début de l'aventure où faites exprès de ne pas le recruter, et votre périple n'aura plus rien à voir. Et franchement, le naturel et la façon dont tout cela est agencé sont véritablement déconcertants. Sur ce plan, Baldur's Gate III est vraiment un grand jeu.
La question
Baldur's Gate III aurait gagné à être plus moderne, notamment dans ses sauts et son infiltration.
Baldur's Gate III fait ainsi le pari de noyer des aspects archaïques (combats au tour par tour, jets de dés, etc.) dans une démesure totale. Rappelons que le dernier jeu à avoir fait cela était – peut-être – Red Dead Redeption 2 et ses fusillades (par exemple) qui n'avaient pas grand-chose de moderne. Pourtant, les deux jeux ont ce rapport au réalisme gargantuesque qui – comme toujours – soulève des questions. Bien des joueurs pensent que pour profiter de Baldur's Gate III, il faut tout explorer et ainsi profiter de l'intégralité d'un contenu colossal. Je pense que ce n'est pour ainsi dire pas une obligation : le réalisme et l'immersion, c'est aussi suivre sa propre quête en se disant, comme dans la vraie vie, que le marchand du coin a une histoire. C'est aussi ça, le luxe de la démesure, se dire que le monde autour de nous est "vivant" et accepter de passer à côté de choses futiles... tout en sachant qu'elles ne le sont probablement pas. Comme dans la vie.
- Un sens de la démesure évident
- Un aspect "immersive sim" impressionnant
- Une profondeur digne d'un jeu de rôle papier
- Le goût de l'aventure comme rarement
- Techniquement, relativement solide
- Direction artistique au top
- Une écriture plus fine qu'il n'y paraît et des dialogues réussis
- Quelques passages mémorables et des personnages voués à devenir cultes (vraiment)
- La gestion des relations et de leurs scripts, d'un naturel déconcertant
- La fin de l'acte 2
- L'acte 3, un peu plus vivant
- Des centaines d'heures de jeu en perspective, pour ceux qui aiment les expériences à rallonge (et recommencer)
- Une OST remarquable, et qui n'aura pas volé ses récompenses à la fin de l'année
- Une philosophie ridiculement élitiste
- Le joueur est quasiment privé de libre arbitre à cause des dés, paradoxal vu le discours du jeu
- Une ergonomie et une austérité problématiques
- La carte du monde et ses icônes, une vraie vision de l'enfer
- L'impression d'avoir affaire à un jeu de rôle qui ne tire pas pleinement avantage des facilités apportées par le médium
- Des soucis inhérents à beaucoup de jeux à embranchements narratifs (choix pas toujours clairs, etc.)
- Le jeu aurait TELLEMENT gagné à être un peu plus moderne sur certains points
- Un acte 3 gourmand et qui ternit le bilan technique
Ne paniquez pas : la note a (littéralement) été attribuée sur un jet de dés, et Baldur's Gate III ne l'a pas totalement volée. Nous faisant passer par toutes les émotions, le jeu est dans un sens fascinant. D'un côté, l'immersion est à son sommet en matière de production, d'écriture et d'interactivité. Néanmoins, le titre oublie parfois les fondamentaux et fait le choix de l'élitisme en se rendant diablement austère. Autant être clair : dans l'industrie du jeu vidéo en 2023, cela ressemble à une régression et à un acte manqué. Parce que même en passant outre des choix de game design parfois discutables, il est difficile de fermer les yeux sur tous les soucis d'interface et d'ergonomie. Les boomers défendant le bastion du PC trouveront probablement en Baldur's Gate III un porte-étendard et un nouveau cheval de bataille mais, ici, nous aimons penser que l'on peut faire des expériences profondes, démesurées et accessibles. Baldur's Gate III reste néanmoins un très grand jeu-monstre, difforme, gargantuesque, destiné à une élite, mais livrant un discours malin sur l'identification ainsi que son lot de moments mémorables. Un terrible mélange d'amour et de haine, en somme... Mais avec une autre philosophie et quelques autres choix, il aurait assurément pu prétendre au fameux titre de jeu de l'année. On attendra d'éventuelles améliorations pour relancer les dés.