Test | Street Fighter 6
03 juin 2023

Gloire à l'art de rue

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Street Fighter 6
  • Éditeur Capcom
  • Développeur Capcom
  • Sortie initiale 2 juin 2023
  • Genre Combat

Street Fighter 6 arrive avec deux missions et non des moindres. La première, c'est de redorer le blason de la série après un cinquième épisode ayant bénéficié d'un lancement chaotique – mais qui s'est refait la cerise au fil du temps. La seconde, plus importante et allant de pair, c'est de donner un second souffle à un genre en perdition depuis des lustres ; puisqu'en dehors de Dragon Ball FighterZ et Mortal Kombat, la baston peine à briller aux yeux de tous. Convaincre les compétiteurs mais aussi le grand public : l'objectif semblait inatteignable, mais avouons que la hype entourant Street Fighter 6 ces dernières semaines nous a donné de l'espoir.

L'univers

Avant de parler du cœur du jeu, à savoir ses modes et son gameplay, abordons quelque chose de tout aussi important en 2023 : l'habillage du titre. Ne nous voilons pas la face puisque c'est encore le meilleur moyen de faire entrer des néophytes dans un genre depuis longtemps hermétique. De ce point de vue, Street Fighter 6 surprend. Si la direction artistique colorée et orientée hip-hop n'a cessé de diviser ces derniers mois, il faut avouer que l'impression générale laissée par ce sixième épisode est particulièrement convaincante. En fait, le credo de Street Fighter 6 se situe ici : la « street », dans toutes ses composantes et passant par tous les compartiments du jeu. On voit bien, par exemple, que le titre fait la part belle à l'inclusivité, attirant (dans le panel principal) des personnages aux physiques toujours plus variés... mais n'est-ce pas là, justement, ni plus ni moins que le reflet de nos rues ? Marisa est une Italienne au physique démesuré, tandis que la danseuse et top model française Manon est à la fois musclée et élancée. Lily, guerrière mexicaine liée à la tribu des Thunderfoot, est aussi jeune que petite. Les ronchons crieront peut-être au « wokisme », mais force est de constater que sur la globalité de l'expérience, et plus précisément dans son esprit, tout cela apporte une vraie diversité en rapport avec la direction artistique et les idées portées par ce volet. Car Street Fighter 6 est « cool », progressiste, mais surtout moderne – pour ne pas dire révolutionnaire dans l'âme.
Dédié à ceux qui pratiquent et c'qui aiment, ce putain d'art de rue

L'habillage

L'écran de sélection donne le ton, comme les musiques (bien que loin des standards de la série).

Une modernité que l'on retrouve, de façon plus pragmatique, dans le rendu du jeu. Si Street Fighter 6 n'est pas la référence visuelle qu'est Mortal Kombat XI dans ses versions PS5 et Series X, il s'en sort tout de même particulièrement bien. Un constat justement dû à la direction artistique chatoyante, ainsi qu'au soin apporté aux détails. Pour le coup, voici un élément qui fait plutôt actuel, pour ne pas dire « next gen ». Il se dégage de l'expérience un côté pour le moins organique. La transpiration sur le torse de Ryu à la fin des combats impressionne, mais ce sont surtout les animations contextuelles qui surprennent, comme lorsque ce dernier souffle entre deux rounds et que le jeu va jusqu'à simuler le mouvement de sa joue. Dans un autre genre, le vent brassé par la jeune Lily fait bouger les franges de son espèce de poncho avec réalisme. Pour les plus coquins, on peut aussi parler du légendaire fessier de Cammy, et du fait que l'on puisse observer ce dernier bouger légèrement à travers son legging lors d'un simple coup de pied. Chaque personnage possède ce genre de détails qui, mis bout à bout, placent le jeu dans l'air du temps.
Ambiance scandale

Le principe

Les quatre nouveaux combattants (ici Marisa) sont franchement géniaux.

Un sentiment qui continue avec un pan entier du jeu : le World Tour, et indirectement avec le hub qui habille l'expérience en ligne (Battle Hub). Vous créez votre personnage à travers un éditeur complètement délirant, vous permettant par exemple de façonner un « freak » difforme. "Venez comme vous êtes", comme le dit si bien le slogan de McDonald's. Cela peut paraître anecdotique, mais en réalité cela donne un côté foire aux monstres plutôt folklorique. Surtout, l'impression globale – basée sur la diversité – est étonnante, que ce soit lorsque l'on traverse les rues en vue de participer à des défis (des portions gigantesques de villes sont modélisées), ou quand on se sert du hub en ligne pour trouver des combats au sein de salles géantes remplies de bornes d'arcade – asseyez-vous en face d'une machine libre, et entrainez-vous en attendant qu'un joueur vienne « à votre table ». Bien sûr, des combats classés et tout le tralala sont au programme. Simple et réaliste dans l'esprit.
C'est vous contre eux

Le Battle Hub est une franche réussite de par sa simplicité et son design.

Mais revenons sur le mode World Tour. Le jeu brille là aussi par sa générosité : scénario, défis, mini-jeux, objets à débloquer, possibilité de jouer à des vieux jeux, personnalisation des coups et système d'expérience sont au programme. Autant dire que Street Fighter 6 fait partie des rares jeux rivalisant avec Mortal Kombat en matière de contenu solo. De quoi, là encore, rameuter tout un pan de joueurs du dimanche (rien de péjoratif ici) qui n'ont pas forcément envie de s'investir en ligne. Particulièrement inspiré de la licence Yakuza – vous déambulez de jour comme de nuit et pouvez être attaqué par des groupes de malfrats – le mode reste toutefois engageant par son rapport poussé à l'environnement : le joueur peut interpeller la plupart des NPC pour les combattre afin de gagner de l'expérience ; mais il peut tout aussi bien explorer les décors (en empruntant des échelles ou en détruisant des éléments), voire prendre l'avion pour atterrir dans des endroits exotiques, ou même le métro et s'adonner à des bastons dans les trains. De quoi rappeler Final Fight (dont le jeu tire beaucoup d'éléments) ou de vieux film des années 1970 tels que The Warriors (1979, Walter Hill). Car il faut le souligner : si le jeu n'est pas hyper beau lorsque l'on parcourt son World Tour, le côté cosmopolite de l'expérience est plus crédible et radical que ce à quoi on s'attend au départ. Encore une fois, la rue au centre des attentions.
Fonce tant qu'on respire et qu'on est libre

Le gameplay

Détail qui fait son effet : vous affrontez vos adversaires aux endroits exacts des rencontres.

Vient alors le moteur du jeu, sur lequel reposaient beaucoup d'interrogations : le gameplay. Et pour cause, cela fait plus d'une décennie que le genre semble privilégier le spectacle et les retournements de situation improbables. Un énorme paradoxe quand on sait que ce qui fait la force d'un Street Fighter II (l'un des meilleurs jeux de l'histoire du médium, n'ayons pas peur des mots), c'est justement sa simplicité. De ce point de vue, Street Fighter 6 a trouvé un bon compromis avec sa jauge Drive, segmentée en plusieurs portions et permettant notamment d'exécuter des Drive Impact (absorbant les coups adverses) et des Drive Parry (reprenant la mécanique des « parry », chère à la licence depuis Street Fighter III et consistant à bloquer complètement un coup avec un timing précis). La vraie bonne idée est d'appliquer les différents systèmes aux 18 combattants du jeu – quand d'anciens épisodes avaient celle saugrenue de rendre exclusives certaines mécaniques. En résultent deux choses : une relative accessibilité, mais surtout un dynamisme constant, loin de certains jeux des années 2010 ayant troqué la simplicité contre la complexité et le spectacle, avec des coups spéciaux parfois longuets.
Danses de vandales

La question

En lien avec tout le côté street art, les Drive Impact sont particulièrement graphiques.

Pour donner un exemple de l'aspect minutieux de Street Fighter 6, on peut évoquer l'état des visages des protagonistes lorsqu'ils perdent un combat en mode arcade. Des blessures sont présentes, et il aurait pu être intéressant que celles-ci restent à la reprise des affrontements. Ce n'est pas le premier jeu à le faire, mais dans tous les cas, il est légitime de se demander si l'absence de radicalité à ce niveau (montrer les combattants amochés) ne vient pas du fait qu'il est préférable de ne pas – trop – montrer une femme battue de la sorte. Le genre de question forcément posée par le réalisme dans le jeu vidéo, mais qui reste un paradoxe quand on sait que des combats de MMA sont diffusés à la télévision, avec des combattantes – bien réelles – et parfois défigurées. Les étonnants blocages et tabous spécifiques au jeu vidéo.
On désire toujours faire mieux
Les Plus
  • Un jeu de baston rassembleur
  • Une vraie philosophie de la rue, avec des choix artistique en accord
  • La folie des grandeurs
  • Véritablement généreux, aussi bien en solo qu'en multi
  • Un système de combat réussi, "généralisé" et relativement accessible
  • Un sens de la minutie parfois impressionnant (animations, détails visuels, etc.)
  • Une approche réaliste et radicale du World Tour (trajets, exploration, personnalisation, mécaniques ponctuelles, etc.)
  • Le level design des villes et bâtiments
  • Des mini-jeux amusants
  • Des combattants réussis et variés, notamment les nouveaux
  • Un mode en ligne engageant, simple et à l'habillage ambitieux
Les Moins
  • Les joueurs terre-à-terre pesteront contre certains aspects du World Tour (nombre de combats, la carte servant à se repérer, etc.)
  • Même si c'est sensé, il y avait sûrement moyen de faire mieux sur le plan musical
  • Un énorme pas d'effectué, mais le jeu pourrait encore aller un peu plus loin, ne serait-ce que sur le plan graphique
Résultat

Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'on ne s'attendait pas à une telle révolution. Il y a finalement quelque chose de très beau dans ce Street Fighter 6, à savoir un aspect libertaire et cosmopolite moins consensuel qu'on pourrait le penser. Street Fighter 6, c'est la « street », inspirée de celles de Final Fight (autre licence de Capcom), mais aussi de la rue de tous les jours. C'est même – sans aucun doute – un bel hommage à sa culture : les graffeurs, le street art, le hip-hop, etc. Ainsi, certains avaient peur de la direction artistique du titre, ou d'un panel de personnages jugé « woke ». Mais c'est oublier le principal : tout cela est à la fois sensé et animé par une âme. Rassembleur, progressiste et parfois sexy, le jeu ne se refuse pas grand-chose. Mais surtout, bien que très réussi sur le plan ludique, il m'a rappelé une sensation particulière : mes études à Paris, quand je déambulais dans la capitale et que j'observais l'incroyable diversité des gens et de leurs cultures. Beau comme une ville universelle et ses rues passantes, c'est précisément dans cet aspect que Street Fighter 6 impressionne : quand il dépasse le simple cadre du jeu de combat pour livrer une vraie vision artistique, donnant une identité marquée à cette licence longtemps portée par des tournois internationaux. Voilà qui était, au départ, inespéré.

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