"De tout mon cœur"
- Éditeur Square Enix
- Développeur Square Enix
- Sortie initiale 29 janv. 2019
- Genres Action, Rôle
Treize ans, c'est le temps séparant Kingdom Hearts III de Kingdom Hearts II. Pourtant, la série a suivi son petit bonhomme de chemin afin de se rappeler aux bons souvenirs des fans. Mieux que ça : certains épisodes qualifiés d'annexes avaient tout de titres dignes de volets canoniques, et ce aussi bien sur le plan du gameplay que de la narration. Nous pensons par exemple aux excellents Birth By Sleep et Dream Drop Distance, ayant respectivement vus le jour sur PSP et 3DS. Pour sa part, Kingdom Hearts III a la dure mission de "conclure" une saga qui, pour beaucoup, reste compliquée en matière de chronologie.
Pour qui ?
Néanmoins (et c'est ce qui est ingénieux), il ne faut pas oublier que Kingdom Hearts a toujours traité, en partie, de la mémoire et du souvenir. Tout comme Sora qui a perdu une partie de lui-même au début de l'aventure, le joueur doit reconstituer les événements passés, remettre les morceaux en place. En d'autres termes et malgré la présence d'archives résumant les très grandes lignes des chapitres précédents, il est plus que jamais une excroissance de Sora. Une mise en abyme récurrente dans la série et qui fait probablement de cette dernière l'une des plus ambitieuses et singulières du jeu vidéo – surtout si on prend en compte la démesure de cette œuvre s'étalant sur plus de quinze ans.
Malgré cette sensation voulue de désarroi, nous ne sommes jamais totalement largués. Et pour cause : les enjeux sont toujours résumés de la façon la plus directe qui soit. Sora doit récupérer le pouvoir de l'éveil. De plus, il doit retrouver Ventus et d'autres camarades. En dehors de cela, si vous ne comprenez pas, tant pis pour vous ! La résultante, c'est un jeu destiné aux fans mais pas seulement : l'important est que le joueur sache toujours quoi faire... Et nous reviendrons là-dessus dans quelques paragraphes.
Le principe
Détail génial : le Sora de Pirates des Caraïbes est plus réaliste que d'ordinaire.
En découle un spectacle fascinant : pour peu que vous sachiez jouer, les capacités peuvent être activées toutes les dix secondes, transformant chaque combat en une farandole d'effets visuels et de mise en scène, le tout tournant à 60 images par seconde. Dans ces moments, Kingdom Hearts III n'est donc ni plus ni moins qu'un parc d'attractions destiné à tous.
Et pour qu'un tel espace soit réussi, il ne faut pas que le client-joueur s'ennuie. Pour ce faire et sans en révéler plus qu'il n'en faut (pour un tel jeu, la surprise fait partie du contrat), Kingdom Hearts III fait parler la diversité et la démesure. Impossible de s'ennuyer quand les idées, à l'instar des meilleures productions Nintendo, font sourire toutes les dix minutes. Un point qu'il faut coupler avec des niveaux véritablement démesurés. Ces derniers sont plus ouverts qu'autrefois et impressionnent par la variété des situations et mécaniques de jeux, mais aussi par celle des ambiances. Comptez quatre heures en moyenne pour venir à bout d'un royaume. Enfin, autre choix confirmant cet attachement au spectacle, la simplicité du jeu qui peut décevoir les fans les plus aguerris : même en mode Expert, le challenge n'est que rarement relevé.
L'histoire
Les attractions apportent du spectacle et de l'accessibilité.
Venons-en au tour de force de Nomura et son équipe : si vous n'êtes pas capable de comprendre ce qui vous est raconté, rien ne vous empêche de prendre Kingdom Hearts III comme un plaisir ludique et visuel (soulignons, au passage, la qualité graphique de cinématiques qui n'ont rien à envier aux films dont elles s'inspirent), un parc d'attractions proposant de vous émerveiller pendant une quarantaine d'heures.
Pour les autres, ceux qui veulent creuser et qui en ont la capacité (ou du moins l'envie), le titre propose toujours un discours remarquable sur ce qui anime les Hommes. Plus pragmatiquement (et c'est la raison pour laquelle le désarroi face à l'afflux d'informations est astucieux), Kingdom Hearts III propage des valeurs qui, en soi, sont parfaitement japonaises. Ici, le corps n'est qu'une enveloppe et l'identité n'est qu'un nom. Dès lors, il n'y a rien de plus normal que de les voir se multiplier bêtement. En réalité, ce qui constitue les protagonistes, ce sont leurs cœurs, et tout comme Sora qui ne se fie qu'à cela (quand il affronte un ennemi à l'apparence de son ami Riku, Hiro – Les Nouveaux Héros – lui rappelle cette règle fondamentale : s'il s'agissait vraiment de son ami, il serait bon), le joueur doit se fier à l'essence. C'est ce que ce dernier applique assez aisément, perdu mais retrouvant sans cesse son chemin pour comprendre l'essentiel. D'apparence insensée, la multiplication des modèles et identités est pleine de sens dans un univers extensible au possible, et dans lequel le bien et le mal ont toujours leur place. Une façon de faire qui, soit dit en passant, n'est pas sans rappeler Metal Gear Solid qui a appris à multiplier les clones et les identités pour servir son discours anti-militariste... qui lui aussi dépassait aisément la simple histoire des protagonistes. D'ailleurs, dans un cas comme dans l'autre, les deux séries – bâties par des créateurs tout-puissants – ont pris un malin plaisir à s'ancrer dans le monde réel, que ce soit en jouant sur le statut du joueur, via des mises en abyme ou en évoquant indirectement leurs propres existences/gestations.
SPOILER
Le soin apporté aux décors/détails est parfois hallucinant.
- Une écriture intelligente qui confirme que Kingdom Hearts est l'une des œuvres les plus ambitieuses du jeu vidéo
- Les six dernières heures, incroyables
- Le monde de Toy Story, un autre grand souvenir de jeu vidéo
- Un gameplay festif et spectaculaire
- Pour les adeptes du "beau jeu", des possibilités à n'en plus finir
- Un dynamisme visuel épatant
- Des cinématiques qui rendent la frontière entre cinéma et jeu vidéo toujours plus poreuse
- Aucune vraie baisse de régime
- Pour peu que vous soyez intelligent ou humble : destiné à tous, initiés ou novices
- Trop facile, même en expert !
"De tout mon cœur", c'est ce que répète régulièrement Sora (le héros) tout au long de Kingdom Hearts III. Cette phrase pourrait être un leitmotiv ou crédo tant elle résume l'expérience livrée par Testuya Nomura. Démesuré et généreux, le titre montre une ingéniosité folle dans ses dernières heures ; en particulier sur le plan narratif, réinjectant du mystère comme on redistribue des cartes – ou comme on réinvente l'utilité d'un échiquier. De tout son cœur, c'est aussi la façon dont Nomura semble être attaché à son oeuvre. Sans trop en dire, le créateur n'abandonne pas, n'abdique pas, se bat constamment, et c'est autant l'histoire racontée par Kingdom Hearts que celle du jeu lui-même qui (comme chaque épisode) a connu une gestation difficile, et qui va jusqu'à inclure/ressusciter ce crève-cœur qu'est Final Fantasy XV. Ce titre non plus, Nomura ne l'oublie pas. Enfin, de tout son cœur, c'est aussi l'amour que ressent un fan envers sa série. Une œuvre débutée il y a 17 ans et qui traverse – on peut désormais le dire – les générations et les époques en plus des êtres. C'est justement, en partie, ce que dépeint cette licence dont Kingdom Hearts III est, à n'en pas douter, un épisode charnière.