Street Fighter II : ça n'est pas un jeu, mais 5 titres, d'innombrables portages, des dizaines de clones, moult descendants et cousins, et surtout un succès foudroyant en arcade qualifié de jamais-vu. Dans un livre d'anthologie, le journaliste Matt Leone revient sur l'histoire rocambolesque de la saga Street Fighter, à travers les témoignages francs et fournis d'une grande partie des personnes qui l'ont forgée au fil des épisodes. Des anciens, partis en cours de route ; des petits nouveaux, qui ont apporté leur dose de créativité ; et en toile de fond, une relation amour-haine entre Capcom Japan et Capcom USA : deux salles, deux ambiances, deux cultures diamétralement opposées qui pourtant doivent collaborer.
Quel a été votre premier contact avec Street Fighter ?
L'histoire officieuse de Street Fighter racontée par ses créateurs, édité en France par Third Éditions, c'est le genre de bouquin auquel on ne s'attend pas. Pour des millions de joueurs de Street Fighter II, le titre est avant tout un excellent jeu de baston, qui en effet a vu plusieurs versions sortir au fil des années 1990, créant une légère confusion pour qui n'est pas un adepte des salles d'arcade. Et la conception de ce jeu est loin d'être un long fleuve tranquille : le livre suit méthodiquement l'âge d'or de Capcom et de Street Fighter, sur une période relativement condensée au final. De 1987 avec Street Fighter premier du nom à 1999 avec Capcom vs. SNK et la réunion des frères ennemis, une multitude de titres ont été lancés, déclinés, exploitant l'aura "Street Fighter" jusqu'à la moelle, le rinçant à l'extrême, avant de tenter d'embrasser timidement la 3D pour finalement se prendre une claque par la concurrence et rester dans son domaine de prédilection : la baston en 2D.
Guile a été l'objet de nombreux bugs exploités par les joueurs en arcade.
60 personnes partagent leurs souvenirs et se confient à l'auteur. L'occasion d'en apprendre sur les coulisses d'une saga à succès sur fond de rivalité forte avec SNK, qui débauchera l'équipe cœur du premier titre Street Fighter pour créer les sagas King of Fighters et Fatal Fury, bourrées de clins d'œil aux jeux Capcom... Les deux entreprises japonaises ont ainsi maintes fois profité l'une de l'autre à coup de mouvements RH, alimentant une haine courtoise mais assumée des deux patrons. Jusqu'à ce qu'en 2000, ceux qui n'étaient que de jeunes créateurs et collègues au début de cette guerre soient devenus responsables des jeux chez les deux entités et décident d'unir leur forces dans les célèbres crossover Capcom vs. SNK et SNK vs. Capcom (pas de jaloux).
Sur Super Nintendo, un monde s'est ouvert aux joueurs qui ne fréquentaient pas les salles d'arcade.
Sans tout révéler, voici quelques extraits marquants de cette épopée. La frustration du marketing chez Capcom USA envers ses confrères japonais est un fil rouge qui dégouline de rancœur. Quand les premiers constataient des versions pirates du jeu dans les salles d'arcade, modifiées pour aller plus vite, les seconds n'y prêtaient pas grande attention et rechignaient à modifier la vitesse du jeu. Pourtant, une fois que la version Turbo est sortie à force d'insistance, elle a instantanément inondé le marché – et neutralisé les modifications pirates au passage. Côté Japon, ça n'était pas beaucoup plus marrant : on découvre que la version "Champion Edition", qui permet de jouer avec les boss comme Bison n'a été créée que dans un but d'écouler un surplus de cartes mères CPS-1, à placer dans les bornes d'arcade, commandées en surnombre par Capcom.
La guerre intestine entre le Japon et les USA, avec des exemples concrets de frustrations remontées par les équipes.
Au fil des 256 pages, les surprises s'accumulent. Saviez-vous que le jeu arcade tiré du film a été réalisé par un studio américain ? La direction artistique du titre exploite la motion capture à la manière d'un Mortal Kombat. Le tournage des scènes devait avoir lieu en parallèle de la production du film, sur une courte période ; l'équipe est restée en réalité bien plus longtemps, suite à une maladresse du patron de Capcom, venu du Japon sur le plateau, pour encourager les acteurs en leur disant que « la licence leur a rapporté des millions de dollars ». Résultat : grève des comédiens. En effet, il n'y avait pas plus motivant pour les encourager à renégocier leur contrat ! Tout cela est raconté par les personnes qui ont travaillé sur les jeux et étaient donc des témoins directs de ces aléas.
Beaucoup de monde a contribué à la saga, beaucoup de monde l'a quittée dépité.
L'histoire officieuse de Street Fighter racontée par ses créateurs est presque un pavé dans la mare, loin de l'histoire parfaite du jeu parfait. Un livre exhaustif qui dresse un tableau parfois sombre, parfois surprenant, de la constitution difficile de cette saga qui s'est cherchée en même temps qu'elle rencontrait le succès dépassant ses auteurs. Une lecture chaudement recommandée pour toute personne qui s'intéresse à l'archéologie des jeux vidéo, avec des informations de première main d'une transparence absolue. Sans être spécialement un grand fan de Street Fighter, l'aspect making of suffit à entrer dans cet univers aux nombreux rebondissements.