Test | Half-Life²
17 janv. 2005

Suite vitrine cherche inspiration

Testé par sur
Half-Life²

Half-Life² est là. Mais les péripéties liées à son développement – et surtout son édition – ont été tellement nombreuses et exagérement médiatisées qu'on a le sentiment qu'il a toujours été présent, voire omni. A tel point qu'on peut se demander si sa venue, physique, ne nous réserve finalement pas les surprises escomptées. Explications.

Just Play

S'amuser à faire l'historique du parcours mouvementé du jeu le plus hype de ces deux dernières années reviendrait rapidement à mettre sur pied un dossier interminable, rempli de rebondissements et d'anecdotes qui n'intéresseraient que les développeurs eux-mêmes. Mais ça reviendrait surtout à éviter de parler de ce sur quoi un joueur normalement constitué s'interroge : les qualités réelles d'un jeu annoncé comme incontournable bien avant sa sortie. Bien sûr, son célèbre prédécesseur a toujours laissé supposer qu'une suite serait forcément réussie, que retrouver Gordon Freeman dans un univers auquel la technique actuelle pourrait offrir toute sa puissance serait une véritable révolution du genre. C'est ce qu'on va voir.

Beauté froide

Une maîtrise technique qui vampirise le reste

Tout comme celles de son prédécesseur, les premières minutes d'Half-Life² sont troublantes. De simplicité d'abord : pas d'ouverture hollywoodienne tape à l'oeil, juste une redite astucieuse de l'introduction d'Half-Life, à savoir une arrivée en train dans un lieu inconnu. Les interpellations des personnages non joueurs s'enchaînent pour capter notre attention et nous guider presque malgré nous sur les rails d'un scénario apparaissant déjà comme très linéaire. Ces premières minutes sont ensuite troublantes d'efficacité : en un instant, ce début d'histoire opaque que l'on a bien du mal à relier à celle de l'épisode précédent (il s'agit bien d'une suite, non ?) nous happe sans crier gare, entraînés que nous somme par les directives des PNJ qui affluent de toute part. Ces premiers pas dans le jeu sont enfin troublants pour les yeux. Les six ans qui le séparent de sa première mouture sont flagrants : textures, sources lumineuses, ombres, reflets, etc. Il s'agit bien de l'un des moteurs graphiques les plus en formes du moment. Mais, sur le plan technique, là n'est pas l'essentiel que Half-Life² a à nous offrir.

Une physique d'enfer

Finies les raideurs cadavériques surréalistes. Quoique...

Après ce premier contact encourageant (voir émerveillant pour les plus jeunes), la vraie claque technique d'Half-Life² se fait rapidement sentir par l'intermédiaire d'un moteur physique d'exception. Associé à des visuels très réalistes, il arrive même que ce bijou technologique fasse tourner la tête aux rétines les plus sensibles (oui, HL² peut donner la nausée). Le comportement des corps et des objets est sans aucun doute ce qui se fait de mieux dans un jeu vidéo à l'heure actuelle. Amusez-vous, par exemple, à jeter un matelas en l'air pour en admirer les mouvements pendant la chute. Le "gravity gun", qui se révèle être la – seule ? - grosse nouveauté de ce titre, est un moyen unique et très amusant de mesurer les capacités de ce moteur physique époustouflant. Malgré une concurrence rude en la matière (Far Cry, Doom 3), Half-Life² a largement gagné son pari à ce niveau là. Malheureusement, nous allons voir que c'est peut-être la seule victoire dont il pourra se vanter.

Scénario mouvant

Tiens ? On ne se serait pas trompé de CD là, non ?

Plus on progresse dans le jeu, plus les faiblesses de toutes sortes – et plus ou moins impardonnables pour un produit de cette envergure – se font sentir. La plus flagrante est assurément ce scénario, élément pourtant central dans un titre aussi scripté et linéaire, que Valve a de toute évidence échafaudé en oubliant d'être inspiré. Il apparaît tantôt trop confus et sans rapport avec le premier volet, tantôt bien trop mince voir inexistant pour qu'on s'y intéresse. Petit à petit, on a ce sentiment agaçant que l'histoire se greffe artificiellement sur des séquences de gameplay, simples prétextes pour redynamiser une progression qui s'enlise inexorablement. C'est ainsi, par exemple, que le joueur devra subir un niveau entier rempli d'images gothiques et de violence complaisante – à milles lieux de l'esprit Freeman basé sur la science et bien loin de l'occulte – qui n'est d'aucun intérêt pour le scénario, si ce n'est de diluer des éléments qui auraient pu le rendre plus attrayant. Exit la maîtrise scénaristique si addictive d'Half-Life premier du nom. Et là n'est pas le seul coup porté au cœur des fans.

No Central Intelligence Agency

Un univers bourré d'informatique mais pas d'A.I.

Autre lacune énorme pour un titre aussi attendu : l'intelligence artificielle est d'un niveau général très moyen notamment au cours des combats (aspect qui, quoi qu'on en dise, reste le thème central de n'importe quel FPS). On cherche en vain à retrouver les comportements évolués que l'on a pu observer dans les vidéos présentées à l'E3 par exemple. Et le constat est le même aussi bien chez les ennemis que chez les différents alliés de Freeman. Si les premiers se contentent le plus souvent de tirer à vue et de se mettre à couvert à intervalles – très – réguliers, les autres suivent bêtement le joueur, quitte parfois à rester sous le feu ennemi sans broncher. Côté adversaires, entre les simples soldats, les hélicoptères biotechnologiques, les zombies ou les fameux antlion (sortes d'araignées des sables) un poil plus surprenants, les attitudes de combats se révèlent rapidement redondantes et, pire, basiques. Inutile de chercher une quelconque stratégie si ce n'est faire exploser les barils de carburant qui les entourent parfois pour avancer plus vite.

Gordon Freeman s’en sort toujours

Voici l'une des trop rares bonnes idées du jeu

Au milieu de toutes ces déceptions plus ou moins cruelles, subsistent heureusement des oasis de qualités, en nombre suffisant pour justifier de rester jusqu'au bout. Parmi elles, cette idée de gameplay originale et amusante qui, sans trop en dévoiler, consiste à utiliser les capacités destructrices d'un précédent adversaire pour en faire une arme très efficace. L'utilisation de véhicules – deux – et de divers mécanismes est aussi rafraîchissante même si c'est devenu un passage obligé pour les FPS qui se respectent. Il est dommage, par contre, que ces passages soient artificiellement rallongés par un level design répétitif (le long parcours en bord de mer, par exemple, n'amuse plus tant il se prolonge maladroitement). Pour finir cette liste des bouées de sauvetage du jeu, soulignons l'excellent travail réalisé sur l'ambiance sonore, sans aucun doute l'une des meilleures du moment. Elle entretient constamment l'implication du joueur, y compris dans ces nombreux instants où elle faiblie à cause du reste.
Les Plus
  • Un emballage graphique très maîtrisé
  • Une physique ultra-réaliste bluffante
  • Une première partie accrocheuse
  • Une ambiance sonore d'excellente facture
  • Jouer à la baballe avec le robot chien et ...
  • ... apprivoiser un ennemi auparavant effrayant
Les Moins
  • Une IA très moyenne, loin de se qu'on était en droit d'espérer
  • Un plaisir de jeu très irrégulier qui frôle souvent l'ennui
  • Un scénario naviguant entre le confus et l'inexistant
  • Un level design parfois mollasson
  • Trop éloigné de l'esprit original
  • Un final étrangement ridicule
  • Gordon ne peut toujours pas parler
Résultat

Voilà. Half-Life² est là. Mais vous l'aurez compris, il n'échappe malheureusement pas au "tout ça, pour ça". La certitude de Gabe Newell de proposer un titre révolutionnaire, qui ne trahirait pas les attentes énormes des joueurs (après un tel battage médiatique, le contraire eut été étonnant), s'apparente finalement à de la suffisance, une surestimation des capacités de son équipe à gérer une pression implacable et étouffante. Le pire dans tout ça, c'est que Half-Life² est loin d'être un mauvais jeu (il est techniquement très abouti et dispose de quelques idées de gameplay intéressantes). C'est simplement un titre surestimé qui paye chèrement la folie même pas douce qui a entouré son arrivée. Dommage, Gordon méritait bien mieux.

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