La saga Assassin's Creed n'existerait pas sans Prince of Persia. Aujourd'hui, elle représente l'une des séries de jeux les plus populaires, émancipée de son carcan d'origine et dotée d'une intelligence forte dans tous ses aspects de design, d'expérience, d'histoire et de construction. Derrière Assassin, la machine Ubisoft s'est mise en place, valorisant un système de collaboration entre studios, s'appuyant sur une bible qui guidera les différentes équipes au fil des jeux. Et tout cela, Thomas Méreur nous le raconte avec une imagerie telle qu'à travers ses mots, vos souvenirs de jeu rejailliront à l'esprit comme une sauvegarde jamais effacée.
Bienvenue dans l'Animus.
Thomas Méreur est journaliste, très porté sur les jeux vidéo, s'étant forgé une réputation malgré lui d'expert de la série des Assassins. À l'époque où il faisait des piges, personne n'était volontaire pour se frotter au premier épisode. Avec près d'un titre par an délivré par la machine Ubisoft, il s'est retrouvé dans l'engrenage du testeur clé identifié comme référent sur la saga. Bien lui en a pris, car aujourd'hui ce livre que vous tiendrez peut-être entre vos mains n'aurait pu exister sans la passion, l'amour pour cette saga unique, que l'auteur aura donc vu grandir au fil des ans. L'ouvrage démarre avec Assassin's Creed premier du nom, sorti en 2007, pour s'achever juste avant la sortie du titre PS4 : Assassin's Creed Unity. Vous suivez donc l'évolution de la série, de ses premiers pas manquant de sûreté jusqu'à une adolescence rebelle voire en opposition avec ses parents. Et si vous avez été joueur de l'un ou plusieurs de ses épisodes, découvrir l'envers du décor apporte son lot de surprises et de révélations surprenantes...
L'histoire de l'Histoire des Assassins version Ubisoft.
La série Assassin n'existerait pas sans Patrice Désilet. Patrice a été directeur créatif sur Prince of Persia : The Sands of Time, gros succès pour Ubisoft qui a habilement maintenu la licence Prince of Persia avec au scénario son créateur : Jordan Mechner Après cela, l'éditeur lui demande de réfléchir au renouveau de Prince of Persia, sur la future génération de consoles (PS3/X360). Mais Patrice est frustré par le Prince : manquant de charisme, avec une trame narrative pas très épaisse et déjà usée jusqu'à la corde ; sauver des princesses, ça va deux minutes. C'est en regardant un documentaire sur l'ADN qu'il vit une épiphanie comme on en vit rarement dans sa vie : et si la mémoire de nos ancêtres était transmise via l'ADN, de génération en génération ? L'Animus était né. Il n'en a pas fallu beaucoup plus que que Patrice et son équipe se chauffent autour de ce concept, présentent à Ubisoft un jeu inspiré mais pas tout à fait dans la lignée de Prince of Persia, pour que le projet soit ensuite validé. Assassin's Creed est né, mais s'appelle encore "Prince of Persia – Assassin".
Quelques fragments de vérité cachés dans ces pages.
Toute cette introduction, Thomas Méreur l'a obtenue de Patrice Désilet lui-même, aujourd'hui parti de chez Ubisoft. Il l'a recoupée avec les nombreux documents de l'époque (interviews, rencontres presse, articles) et quelques autres entretiens. L'occasion ici de souligner une difficulté rencontrée par l'auteur : même les anciens de chez Ubisoft, sans parler de ceux encore en poste, ont des difficultés à raconter la genèse de leurs projets. Une omerta qui laisse malheureusement quelques zones d'ombres, parfois habilement comblée par la logique de Thomas : recoupement de dates, connaissance des équipes en place, des moteurs utilisés... tout cela aide ainsi à fluidifier le récit qui se lit comme une aventure vidéoludique grandiose.
Ezio grimperait cette statue en 1,9 seconde.
Pour en revenir à l'histoire de la saga, vous apprendrez que beaucoup d'éléments de jeu sont le fruit d'évolutions, de contraintes libérées, ou même de décisions arbitraires pour raison de planning (avec parfois de bonnes surprises). Par exemple : le fait que le concept de l'Animus soit une mise en abîme permet à Patrice Désilet de s'en servir totalement. Pour plus de cohérence il souhaitait un jeu sans HUD, sans carte, mais en réalité, Desmond Miles est plongé dans une machine de réalité virtuelle, qui elle-même affiche des informations : l'HUD a donc finalement toute sa place. En plus, l'Animus traduit tout dans votre langue de jeu : à la fois malin (pas de doublages à produire) et cohérent (cela renforce la logique proposée). Autre exemple, dans Assassin's Creed 2, la dissimulation sociale a été revue : les tests réalisés ont montré que les joueurs ne parvenaient pas à activer la dissimulation en appuyant sur le bouton dédié, résultat ils passaient à côté d'une bonne partie des fonctionnalités du jeu. L'équipe s'est cassée la tête de diverses manières sans succès. Voyant le temps filer, une décision unilatérale a été prise : arrêter de chercher une alternative et abandonner la feature en automatisant (donc sans bouton) l'action. Résultat : la dissimulation a cartonné ! Comme quoi...
Eureka-nimus
Le but premier d'Assassin était de créer "un GTA sans voiture". Aller où on veut à pieds, avec une liberté de mouvement totale sans être freiné par l'architecture, tout en restant crédible mais pas forcément réaliste car le corps humain est trop lent. Les premiers essais ont montré un résultat réel bien trop plat : ça n'est plus un jeu, c'est une simulation qui nous montre les limites de notre corps. C'est pour cela que nos assassins sont de véritables araignées, gagnant en souplesse et rapidité au fil des épisodes. Cette liberté a également donné naissance au surprenant et très bien accueilli Black Flag, véritable jeu de pirates. Son origine se trouve dans des missions navales de l'épisode précédent : comment rendre crédibles les batailles de navires lents, difficiles à manœuvrer, sans perdre les joueurs ? C'est le studio de Singapour qui a réalisé un prototype plus que convainquant, qui donnera plus tard l'idée d'un épisode dédié au thème marin.
Un templier a oublié son codex.
Lire ce livre riche en anecdotes est surtout l'occasion de saisir la puissance de la série Assassin, par son double système : un système de bible et documentation, qui garantit la cohérence au fil des épisodes, permettant ainsi aux équipes de s'appuyer sur des évolutions, des concepts abandonnés, des prototypes traînant sur un coin de bureau... mais aussi un système d'organisation : la méthode Ubisoft ce sont des studios partagés (beaucoup pour un épisode) des ressources communes, des emprunts aux autres licences (Far Cry a emprunté les tours d'observation mais a également nourri plus tard la saga...) : un système qui a permis de tenir la cadence d'un épisode par an, jusqu'à un certain essoufflement, mais aussi des surprises improbables de DLC devenus des jeux à part entière, et pas forcément les moins bons.
Si les assassins préfèrent l'ombre, cet ouvrage mérite la lumière.
[Souvenirs] Les secrets d'Assassin's Creed, c'est aussi beaucoup de souvenirs. Ayant moi-même découvert la saga avec le 2e épisode et ayant eu la chance d'en tester un certain nombre ensuite pour Gamatomic, j'ai également un lien particulier avec la confrérie des assassins. Notamment avec le mode multijoueur, aujourd'hui disparu, qui était d'une intelligence rare. S'appuyant sur le principe du killer (dans un groupe, vous êtes à la fois cible et chasseur), ce mode de jeu venait à l'encontre des classique Call of Duty et Battlefield de l'époque. Je garde un souvenir ému de la rencontre de l'équipe en charge du multi sur Revelations et l'interview de son game director, Damien Kieken. Bon, aussi parce que j'avais fini premier de quelques parties contre eux... !
Bref, lisez donc cet ouvrage, et vous aurez comme moi envie (et besoin) de relancer quelques séquences génétiques au passage, en écho à ce que Thomas nous décrit. Ou relisez nos tests ici !