Test | Heaven's Vault

11 févr. 2021

Vous êtes Aliya Elasra, archéologue, historienne et linguiste travaillant pour l'Université d'Iox, la capitale d'un Protectorat composé d'une myriade de lunes habitées. Ces dernières sont interconnectées dans l'espace par le Loop, un réseau de fleuves, rapides et rivières parcouru depuis des milliers d'années par des marins spatiaux. Le dogme prédominant dans la Nébuleuse est que toute âme est reliée au Loop. Après la mort, l'âme rejoint le Loop et recommence une nouvelle vie dans un autre corps. L'Histoire ne serait qu'un perpétuel recommencement et le temps ne s'écoulerait pas de manière linéaire mais circulaire. Les plus dévots vont même jusqu'à dire que trop de navigation sur le Loop peut rendre les âmes impures et les empêcher de se réincarner... Mais Aliya Elasra n'est pas du genre à adhérer à ces croyances. Son dogme à elle ? L'Histoire et les faits. Ses reliques ? Les artefacts qu'elle déterre par-ci par-là, souvent gravés de la langue des Anciens ; langue morte qu'elle essaye de reconstruire petit à petit. Sa bible ? Son dictionnaire Anglais-Ancien. Rompue au travail sur le terrain, c'est sans aucun doute pour ses compétences de recherche et d'enquête que l'Université d'Iox lui a confié la mission de retrouver Janniqi Renba, un roboticien disparu dans d'étranges circonstances.

À l'aide d'un robot que vous nommerez rapidement Six (en référence aux précédents robots usés et volontairement perdus par Aliya), vous voilà donc sur la piste d'un disparu. Au fur et à mesure de votre enquête, vous allez vous retrouver à la fois spectatrice et actrice d'un engrenage aux allures d'une révolution copernicienne, révélant un passé insoupçonné remontant à plus de 5 000 ans avant votre ère.

Heaven's Vault vous propose d'aborder l'archéologie sous un autre angle que celui du viseur d'un pistolet automatique comme Nathan Drake ou Lara Croft savent si bien le faire. Ici, pas de course contre une armée ou un méchant cherchant à renverser l'équilibre mondial à l'aide d'un artefact. La seule course qui est de mise dans le titre développé par Inkle est celle contre le temps : d'un côté, le passé qui vous talonne et cherche à vous rattraper ; et de l'autre, le futur qui cherche à s'échapper... pour finalement revenir en arrière. Vous suivez ? Où est la tête et où est la queue de cette frise chronologique qui ne cesse de s'étoffer au gré de vos découvertes ? Pour répondre à cette question, il vous est nécessaire de déchiffrer la langue des Anciens, mot par mot.

Véritable Champollion interstellaire, il vous faut faire attention au contexte autour des objets que vous trouvez pour deviner le sens des mots qui y sont gravés et ainsi agrandir et nuancer votre dictionnaire Anglais-Ancien. L'une des grandes qualités du jeu repose justement dans l'équilibre parfait trouvé par Inkle en ce qui concerne les énigmes lexicales : ni trop dures, ni trop faciles, mais tout de même corsées, elles vous poussent à formuler des hypothèses, tenter des interprétations, quitte à y revenir plus tard pour les modifier si elles s'avèrent incorrectes. À noter que le jeu, au-delà du fait de créer de toutes pièces un langage, fait preuve d'une grande nuance dans le phrasé des dialogues ainsi que de beaucoup d'humour.

Au final, entre quinze et vingt heures vous sont nécessaires pour boucler l'aventure d'Aliya. La progression se fait à travers vos voyages (rapidement rébarbatifs malheureusement), les explorations, les découvertes et les traductions que vous faites, mais sachez que vos décisions, si infimes puissent-elles parfois paraître, ont de grandes conséquences et influent sur le cours du jeu. Ainsi, chaque joueur peut trouver son propre voyage.

Même si les erreurs de traduction peuvent être fréquentes, le jeu est suffisamment bienveillant pour vous redonner une deuxième voire troisième chance de trouver la bonne interprétation. Ainsi, Heaven's Vault ne s'adresse pas vraiment à un public féru de difficulté. En revanche, par son écriture profonde et ses grandes nuances de la langue anglaise, le jeu sera plus susceptible d'être apprécié par un public adulte.
Mais plus généralement, Heaven's Vault a de quoi plaire à celles et ceux qui apprécient des moments de contemplation dans un jeu, aux passionnés de linguistique et langues inventées qui pensent que Premier Contact est un des meilleurs films de SF du XXe siècle, ou encore au public friand d'univers de science-fiction interactifs aux paysages aux traits d'aquarelles.

Ayant fait des études d'histoire à la fac, le discours développé et porté par Heaven's Vault a fait que j'ai tout de suite apprécié le personnage d'Aliya. Avec sa démarche rigoureuse et historique à laquelle elle s'accroche malgré l'incompréhension de ses collègues et des habitants de la Nébuleuse, le jeu parle intelligemment de l'Histoire et du métier d'historien : « À quoi bon faire tout cela ? » est un leitmotiv qui revient souvent dans Heaven's Vault à l'encontre d'Aliya. Ce à quoi cette dernière répond que comprendre l'histoire permet de comprendre le présent et le futur à la fois, tout en évitant de reproduire les erreurs du passé. Dans un jeu où le temps s'écoule de manière cyclique, c'est tout de même la base. Mais ça l'est aussi pour nous et notre société, ce que beaucoup semblent oublier (coucou la montée des extrêmes).