Interview | Verne : The Shape of Fantasy
04 sept. 2024

Entretien avec Daniel Gonzalez

Interview par

Si elle a souvent fait l'objet d'adaptations vidéoludiques, l'œuvre du visionnaire Jules Verne n'avait pas retrouvé le chemin de nos consoles depuis une douzaine d'années. C'est donc avec un grand plaisir et une vraie curiosité que l'on a découvert Verne : The Shape of Fantasy (disponible depuis peu sur Switch). Tellement curieux même qu'on a souhaité interroger le studio espagnol Gametopia à l'origine du jeu. Daniel Gonzalez, le directeur créatif qui a conçu, écrit et créé le pixel art pour Verne a gentiment accepté de répondre à nos questions.

"Quand je suis tombé amoureux de l'œuvre de Verne, j'avais environ 12 ans."

Si vous deviez présenter Verne : The Shape of Fantasy en une phrase...
Daniel GonzalezUn jeu narratif en pixel art où vous incarnez Jules Verne et affrontez vos propres créations, qui comme chez tous les auteurs, sont vos peurs et vos désirs.


Quel est votre premier souvenir de l'œuvre de Jules Verne ?
Daniel GonzalezJ'ai plusieurs souvenirs. Mon premier contact a été le film de Disney Vingt Mille Lieues sous les mers. J'avais environ 6 ans, et cela m'a marqué. Un peu plus tard, mon premier livre fut Voyage au centre de la Terre. Mais mon souvenir préféré est lié au roman Le Rayon vert, quand je suis tombé amoureux de l'œuvre de Verne et que j'ai découvert ce qu'était un Rayon vert. J'avais environ 12 ans. Puis, à 16 ans, j'ai eu la chance de voir un Rayon vert sur la côte nord de l'Espagne. Verne est resté dans mon cœur depuis.


L'un de vos précédents jeux était consacré à Edgar Allan Poe. Qu'est-ce qui vous attire dans ces grands auteurs ?
Daniel GonzalezLeurs œuvres ont influencé des milliers d'écrivains et font partie de la culture populaire. Tout le monde connaît Le Nautilus de Verne ou Le Corbeau de Poe. Mais ce que j'aime le plus, c'est essayer de découvrir où le mythe est né. Quels ont été les événements clés de leur vie qui les ont poussés à écrire ces grandes histoires ?

"Jules Verne avait une manière très spécifique de raconter et de décrire les choses."

Comment avez-vous équilibré les éléments issus des œuvres de Jules Verne avec les aspects purement créatifs du jeu ? Quelles œuvres en particulier ont influencé le développement de Verne : The Shape of Fantasy ?
Daniel GonzalezLe cœur de Verne : The Shape of Fantasy est Vingt Mille Lieues sous les mers. À partir de là, nous avons ajouté des couches provenant de ses autres romans et d'autres passions personnelles, comme son obsession pour Robinson Crusoé de Daniel Defoe. Mais nous avions besoin de notre propre espace pour raconter une histoire. Verne aimait le mythe de l'Atlantide, c'est donc à partir de là que nous avons commencé à développer notre propre idée basée sur son œuvre.


Comment avez-vous abordé la création d'une histoire immersive qui reste fidèle à l'esprit de Jules Verne tout en offrant une expérience de jeu moderne ?
Daniel GonzalezJules Verne avait une manière très spécifique de raconter et de décrire les choses. Nous voulions conserver cette essence, alors nous avons travaillé sur le sentiment d'exploration et d'observation. C'est un jeu pour prendre son temps et apprécier tout ce que les décors ont à offrir. Nous sommes très fiers de la façon dont nous avons pu représenter ces mondes d'aventure de Verne, même si nous sommes un petit studio avec très peu de ressources.

"Le pixel art transmet de la nostalgie mais aussi de l'élégance."

Pouvez-vous nous en dire plus sur les mécaniques de jeu qui rendent Verne : The Shape of Fantasy unique ? Comment ces mécaniques interagissent-elles avec la narration ?
Daniel GonzalezLe jeu est basé sur l'exploration et la conversation pour obtenir des informations. À partir de là, nous ajoutons des mécaniques qui correspondent à l'histoire que nous voulons raconter, comme l'IMAG, qui est un dispositif atlante que seul Jules Verne peut faire fonctionner, et avec lequel il peut réécrire de petites choses qui se sont produites. Cet appareil est une analogie de la manière dont son imagination fonctionne en tant qu'écrivain. Pour les énigmes, nous avons voulu qu'elles soient simples mais intégrées à la narration.


Parlons graphismes. Qu'est-ce qui vous plaît dans le pixel art et selon vous quel est son intérêt en termes de narration ? Avez-vous rencontré des défis particuliers lors de l'adaptation de certains décors ou personnages ?
Daniel GonzalezJ'adore le pixel art car vous travaillez avec des concepts. C'est comme jouer avec des Lego, votre imagination fait le reste. Le pixel art transmet de la nostalgie mais aussi de l'élégance, et je pense que ce sont deux concepts clés pour représenter les mondes de Verne et retrouver notre capacité à nous émerveiller. Le Nautilus a beaucoup de détails et cela nous a pris du temps pour le dessiner, mais celui qui nous a demandé le plus de travail est le temple englouti sous la mer, non seulement à cause de sa taille, mais aussi en raison des différentes sections qu'il comporte, c'était un défi !

"La conception et la programmation d'une mécanique ne doivent pas ruiner l'expérience d'une autre."

Avec ce choix graphique vintage, souhaitez-vous rendre hommage à des jeux emblématiques en particulier ?
Daniel GonzalezLes deux jeux qui m'ont le plus influencé dans mon travail sont Flashback et Indiana Jones and the Fate of Atlantis. Mais ce jeu a aussi beaucoup de The Dig ou un jeu plus récent comme Gemini Rue.


Quels sont justement les jeux qui ont marqué votre parcours de joueur et vous ont incité à en faire votre métier par la suite ?
Daniel GonzalezQuestion difficile ! Des jeux comme Indiana Jones and the Fate of Atlantis m'ont marqué en tant que joueur. Mais peut-être que le jeu qui m'a inspiré à créer des jeux vidéo est Syberia de Benoît Sokal pour son univers merveilleux et son élégance.


Le concept de base de Verne : The Shape of Fantasy a-t-il beaucoup évolué depuis les premières phases de développement ? Si oui, quelles ont été les principales modifications et pourquoi ?
Daniel GonzalezLes projets aussi longs que la création d'un jeu vidéo ne peuvent pas rester inchangés, ils évoluent avec le temps. Dans notre cas, le noyau central n'a pas beaucoup changé, mais des éléments de la conception de l'interface utilisateur ou des mécaniques comme la plateforme ont perdu de l'importance ou l'infiltration a gagné plus de poids selon les conceptions de niveaux que nous avons réalisées.


Quels ont été les plus grands défis techniques lors de la création de Verne : The Shape of Fantasy ? Comment les avez-vous surmontés ?
Daniel GonzalezInclure beaucoup de petites mécaniques. C'est un jeu relativement simple, mais il comporte de nombreux éléments. Pour la plupart des joueurs, cela semblera sans importance, mais s'assurer que tout fonctionne bien, que la conception et la programmation d'une mécanique ne ruinent pas l'expérience d'une autre... Il y a beaucoup de choses à tester.

"Verne comporte beaucoup d'easter eggs."

Le jeu comporte-t-il des easter eggs ou des références subtiles à d'autres œuvres de Jules Verne ou à des événements historiques marquants de son époque ?
Daniel GonzalezBeaucoup, c'est le plaisir d'explorer le jeu. Il y a des références à son œuvre et à sa vie, comme trouver des livres de son ami Alexandre Dumas ou des références à sa passion pour la science.


Dans le jeu, le personnage principal Verne utilise régulièrement des mots français dans le texte pour exprimer sa surprise ou son mécontentement : "Merde !" "Mon dieu !" Racontez-nous cette partie de l'écriture.
Daniel GonzalezJ'ai plusieurs amis français, ma fille étudie au Lycée Français... et il y a un mot qui est toujours sur les lèvres des Français, et c'est "Merde !" Je l'utilise beaucoup moi-même. J'ai donc imaginé Verne, même s'il utilise l'anglais comme langue commune, dire "Merde !" ou "Mon Dieu !" de façon naturelle. Une chose que nous avons apprise et que nous avons faite différemment dans notre projet actuel est de travailler mieux sur les accents des acteurs. Nous sommes très heureux des acteurs avec lesquels nous avons pu travailler sur Verne, même si je sais qu'il aurait été idéal de travailler avec un acteur français pour les accents, mais nous avons vraiment essayé de faire de notre mieux avec nos ressources.

"Le compositeur a créé une bande-son qui sonne comme du fer et une énorme pression sous la mer."

Comment avez-vous pensé l'expérience du joueur pour qu'elle reste engageante et fluide tout au long du jeu ? Y a-t-il des moments particuliers où vous avez cherché à surprendre ou à émouvoir les joueurs ?
Daniel GonzalezL'histoire commence avec un Verne qui n'est pas notre Jules Verne, c'est un scientifique, pas un écrivain, et il ne semble pas avoir beaucoup d'imagination. L'intrigue nous amène à découvrir notre véritable Jules Verne, et dans ce voyage, il y a plusieurs surprises et rebondissements. L'important est qu'il y ait toujours de nouvelles révélations et que les personnages évoluent, que ce soit l'histoire elle-même qui vous pousse à continuer.


Comment la musique et les effets sonores ont-ils été conçus pour renforcer l'atmosphère du jeu ? Vous avez collaboré avec des compositeurs ou des artistes particuliers pour cela ?
Daniel GonzalezPour moi, la musique et le son sont une partie très importante de l'expérience narrative. Quand la musique retentit, c'est parce qu'elle raconte une histoire. J'ai eu la chance de travailler avec Eloi Caballé, un très bon musicien espagnol qui, comme moi, aime travailler avec des thèmes d'ambiance plutôt que mélodiques. Il a créé les atmosphères oppressantes du Nautilus, en créant une bande-son qui sonne comme du fer et une énorme pression sous la mer. Les pièces de musique classique qui complètent l'OST servent de narration, par exemple, lorsque Jules Verne arrive à la base secrète du capitaine Nemo avec le Nautilus, le Prélude de Parsifal de Wagner joue, car Parsifal était l'un des chevaliers du roi Arthur qui est parti à la recherche du Saint Graal, tandis que dans le jeu, le capitaine Nemo part à la recherche de son propre Saint Graal.

"Cela a été une grande chose pour nous, notre petit projet dans un musée !"

On peut tester Verne : The Shape of Fantasy au Musée Jules Verne de Nantes. Comment cette collaboration est-elle née ? Avez-vous ressenti une responsabilité accrue en tant que studio dédié à la narration pour honorer l'héritage de Jules Verne dans sa ville de naissance ?
Daniel GonzalezCe fut une merveilleuse surprise. Quelques mois après le lancement du jeu, le musée nous a écrit. Ils avaient téléchargé le jeu et l'ont beaucoup aimé pour la quantité d'informations que nous donnons sur Jules Verne et pour le travail que nous faisons pour encourager la lecture de son œuvre, ils nous ont donc proposé de mettre le jeu au musée. Cela a été une grande chose pour nous, notre petit projet dans un musée ! C'est quelque chose dont nous sommes très fiers et que nous avons accompli en mettant tout notre amour pour Verne dans le jeu.


Gametopia est un studio madrilène. Avec Tequila Works (Rime), Nomada (GRIS), Pendulo Studios (Runaway), The Game Kitchen (Blasphemous) mais aussi Pyros Studio (Commandos) et Mercurysteam (Castlevania : Lords Of Shadow), l'Espagne est le berceau de nombreux jeux à renommée internationale. Selon vous, quels atouts culturels/sociétaux/géographiques de votre pays sont le fruit de ces succès artistiques ?
Daniel GonzalezJe pense que malgré la crise que traverse l'industrie, nous connaissons une année impressionnante sur le plan créatif dans le monde entier. Il y a de merveilleux jeux indépendants et des idées vraiment étonnantes. En Espagne, je pense qu'il y a deux facteurs importants, il y a beaucoup de créativité et très peu de ressources économiques, ce qui nous oblige à chercher de nouvelles façons de raconter des histoires et de présenter des mécaniques surprenantes. Mais nous avons encore beaucoup à améliorer, nous sommes bien en dessous du niveau culturel de pays comme la France.

"Ce qui m'a le plus surpris, c'est les joueurs qui ont acheté un livre de Verne après y avoir joué."

Verne : The Shape of Fantasy est disponible depuis 2023 sur PC. Avez-vous reçu des retours inattendus de la part des joueurs ou des critiques depuis la sortie du jeu ? Comment cela a-t-il influencé vos perspectives pour les futurs projets ?
Daniel GonzalezNous recevons toutes sortes de commentaires. Il y a des gens qui aiment les énigmes faciles, d'autres qui nous disent que les énigmes que nous avons conçues sont très difficiles, d'autres encore qui disent que c'est un walking simulator mais pour d'autres l'exploration est merveilleuse, etc. Ce que nous avons appris en tant que studio, c'est de ne pas nous perdre dans le bruit et de regarder les commentaires constructifs de personnes ayant de l'expérience dans l'industrie ou qui sont notre public cible. Dans notre projet actuel, nous utilisons beaucoup de retours de la communauté des joueurs, qui ont généralement été merveilleux et nous ont donné de très bonnes idées pour l'amélioration. Mais ce qui m'a le plus surpris et fasciné, c'est le nombre de messages de joueurs qui ont acheté un livre de Verne après y avoir joué.


Pour finir, vous jouez à quoi en ce moment ?
Daniel GonzalezMon temps en tant que joueur n'est pas à son meilleur, avec une fille de 5 ans et beaucoup de travail, il ne reste guère de temps pour jouer. J'essaie de suivre les jeux indépendants qui sont dans le style des jeux que nous réalisons. Je viens de finir VirtuaVerse, qui était sur ma liste de souhaits depuis longtemps, et je l'ai adoré.

Merci pour l'opportunité de parler de Verne : The Shape of Fantasy, c'était très agréable.



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Tribune libre