Test | Fahrenheit
16 oct. 2005

Cage doré(e) pour expérience inédite

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Fahrenheit

Révolutionnaire. Voilà un adjectif bien dangereux pour qualifier un jeu avant sa sortie car, on l'a vu plusieurs fois par le passé (personne n'a oublié, au hasard, l'épisode Half-Life²), un titre précédé d'une telle dithyrambe à tout intérêt à être à la hauteur des attentes qu'il va immanquablement susciter chez les joueurs. Voyons donc si avec Fahrenheit, nous n'avons pas pas affaire à une formule choc de journalistes en mal d'inspiration.

David Cage aux manettes

Si le réalisateur de Fahrenheit, David Cage, est d'abord passé par la création musicale avant de s'attaquer au jeu vidéo avec Quantic Dream, ce n'est pas un hasard. David Cage est un véritable homme-orchestre et sa précédente production, Omikron – The Nomad Soul, a brillamment démontré ses capacités à diriger un projet d'envergure : la conception d'un système de motion capture parmi les plus pointus d'Europe (unique en France), et une collaboration avec David Bowie... Cette belle ambition a d'ailleurs trouvé un écho formidable auprès des joueurs puisque ce premier jeu s'est écoulé à près de 600.000 exemplaires dans le monde. C'était donc tout naturel que son dernier projet, un jeu d'aventure nouvelle génération, fasse autant saliver les foules.

Un film dont vous êtes les zorros

Il faut toujours nettoyer derrière soi quand on a fait des saletés

Mu par une force mystérieuse, Lucas Kane poignarde un homme dans les toilettes d'un restaurant. Les inspecteurs Carla Valenti et Tyler Miles sont chargés d'enquêter sur le meurtre. Trois personnages principaux pour trois points de vue différents sur un thriller tantôt psychologique, tantôt mystique, rarement comique, parfois naïf, souvent classique. Le scénario navigue en eaux connues et rabâche des clichés qu'on a aujourd'hui du mal à accepter au cinéma. Le procédé est d'autant plus agaçant qu'il provient d'une équipe européenne censée être moins influençable par le nivellement hollywoodien des productions aux ambitions internationales. Mais si ce fond s'avère un peu léger pour un film consistant et surtout original, il en est tout autre pour un média interactif tel que le jeu vidéo. C'est d'ailleurs étonnant de constater que les liens étroits qui unissent ce jeu au cinéma, notamment dans sa mise en scène très travaillée, étudiée et optimisée au millimètre près, ne lui permettraient pourtant pas d'être un film efficace. Fahrenheit puise sa force dans l'interactivité et l'implication prononcée qu'il offre au joueur, et ce dès les premières secondes.

L'interaction selon Quantic

Pas le temps de tourner sa langue 7 fois pour les dialogues

Fahrenheit utilise deux modes d'interactions à première vue basiques mais qui servent de façon magistrale l'implication du joueur. Le premier mode s'utilise au cours de l'enquête et des dialogues. Il consiste à tracer une figure géométrique très simple, à l'aide de la souris, soit pour orienter une discussion vers un sujet précis, soit pour réaliser une action particulière : s'asseoir, grimper, ouvrir un placard, décrocher un téléphone, se laver les mains, etc. Pour vous donner une idée, c'est le même principe que le lancement de sorts dans Black & White. C'est à la fois pratique et original. L'autre mode d'interaction utilise quant à lui le clavier. On le rencontre principalement durant les scènes d'action où il va s'agir de taper sur des touches dans un ordre précis, selon un rythme soutenu, voire épileptique. La réactivité du joueur conditionne en effet la réussite de l'épreuve et les moindres fautes sont le plus souvent synonymes d'échec. Ce système est l'un des plus physiques que l'on peut rencontrer sur PC. Et même si ce n'est finalement qu'un artifice simplissime, il demande une concentration et un sang-froid très implicatifs.

Une influence mentale certaine

C'est bien connu : la musique adoucit les moeurs

Afin de se concentrer sur l'aventure et l'implication du joueur, la plupart du temps Fahrenheit propose une interface très discrète, voire quasi inexistante : pas d'inventaire, pas de barre de vie, pas de boussole. Le seul indicateur présent à l'écran est un niveau permettant de mesurer l'état mental du personnage contrôlé. Il varie selon les situations qu'il rencontre ou encore les indices qu'il découvre. Cet état est très variable et la moindre phrase mal choisie au cours d'un dialogue peut le faire chuter. En pratique, plus le personnage est déprimé, plus il peinera à surmonter les épreuves et à réaliser des actions particulières. Cet aspect du jeu est donc un élément fondamental sur lequel il faut porter toute son attention pour progresser plus facilement. Cela dit, le déroulement du scénario nécessite des variations de cet état que le joueur n'a aucun moyen d'éviter. Il se surprendra donc régulièrement à s'angoisser devant une chute du niveau de 20 points, suite à une information déprimante, et à être soulagé de récupérer 10 points après avoir écouté de la musique sur sa chaîne Hi-Fi.
Les Plus
  • Une mise en scène d'exception et parfaitement stylisée
  • Une juxtaposition des points de vue très intéressante
  • Des personnages vecteurs d'émotions
  • Un gameplay physiquement implicatif
  • Un doublage tout à fait réussi
  • Une bande son d'excellente facture
  • Des bonus dignes d'un bon DVD
  • La leçon de guitare et, plus généralement, les minis jeux disponibles
Les Moins
  • Une certaine redondance au niveau du gameplay
  • Un scénario parfois racoleur qui n'échappe pas aux clichés
  • Un système d'interactions au cours des dialogues trop contraignant
  • Une progression souvent plus basique que réfléchie
  • La rejouabilité pour essayer d'autres tactiques n'est, en pratique, pas très probante
Résultat

Comme une majorité de titres attendus et supposés capables de révolutionner un genre, Fahrenheit est un jeu construit sur plusieurs paradoxes. Autant son fond, seul, ne tient pas la route, autant associé à une forme empruntée au 7ème art et à une narration relativement maîtrisée, il parvient à un compromis efficace. Autant son gameplay est basé sur une interactivité prononcée, autant l'impression de n'avoir une influence que très limitée sur l'histoire est omniprésente. Autant son ambiance se positionne régulièrement sur le sombre et le mature, autant la naïveté de certaines situations et l'apparence "décalée" des ennemis rendent l'ensemble déroutant. Autant l'absence de recul des développeurs sur leur création peut parfois la plomber, voire l'étouffer, autant ce soucis du détail permanent et le peaufinage général sont impressionnants. Au delà d'un calibrage international agaçant, Fahrenheit reste une expérience à part entière qui mérite d'être tentée... ne serait-ce que pour avoir accès à de nombreux bonus tout à fait exceptionnels dont on aurait bien aimé que le second degré réjouissant puisse avoir une influence sur le jeu lui-même.

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