Test | Road to India
27 mai 2001

Testé par sur
Road to India
  • Éditeur Microids
  • Développeur Microids
  • Sortie initiale 23 mai 2001
  • Genre Aventure

Les jeux d'aventure se font suffisamment rares pour que, lorsque l'un d'eux pointe le bon de son nez, l'on ait envie de les défendre. Même s'il ne sort pas totalement des rangs du genre (en avait-il la possibilité ?), Road to India est un jeu qui fait preuve d'une rigueur artistique originale et rafraîchissante. Test exotique d'un exercice de style.

Un début classique...

Fred est un étudiant américain tout ce qu'il y a de plus tranquille. Métro, boulot, dodo font partie de son quotidien et seule Anusha, une jeune indienne avec qui il file le parfait amour, vient apporter une pointe d'originalité à ses jours paisibles. Bref, le schéma classique du héros sans histoire dont un évènement inattendu va forcément bouleverser l'existence. Cet événement prend la forme du retour impromptu de sa bien aimée dans son pays natal, un voyage rendu nécessaire par d'obscures raisons familiales. Quelques jours après le départ d'Anusha, Fred reçoit une lettre de rupture. Très étonné, il décide de la rejoindre pour éclaircir ce mystérieux retournement de situation. Mais, une fois sur place, il s'aperçoit rapidement que le mystère en question est bien plus complexe qu'il n'y paraît.

... mais une Inde salvatrice.

Visite magique du Taj Mahal

A partir d'un postulat classique, l'équipe de Road to India réussi à construire une sympathique histoire aux multiples rebondissements. A vrai dire, difficile de faire creux quand on choisit comme toile de fond un pays aussi charismatique et envoûtant. De l'inde, justement, Microïds va extraire le meilleur : de superbes clichés architecturaux pour bien situer l'action (Le Taj Mahal, le Temple de Kali...), une faune locale caractéristique (les vaches sacrées, les singes farceurs...), des faciès typiques d'indiens "qui ont vécu" et, surtout, une secte secrète qui, depuis le 19ème siècle, perpétue des crimes sanguinaires au nom de la déesse Kali. S'appuyer sur ce passage lugubre de l'histoire de l'inde, bien loin de l'Orient bon enfant des Mille et Une Nuits, est sans aucun doute l'une des meilleures idées de ce scénario.

La légende des Thugs.

Un agenda électronique pour gérer les dialogues

Sans trop vous révéler la manière dont vont intervenir ces fanatiques dans le jeu, voyons ensemble l'origine de cette secte. Voués corps et âmes au culte de Kali, ces assassins avaient pour coutume d'étrangler d'innocents voyageurs dans une sorte de rituel sacrificiel. Après leur découverte par la société coloniale anglaise du 19ème siècle, les Thugs seront victimes d'une répression brutale et impitoyable (le plus souvent par pendaison) qui aboutira à leur complète éradication en 1882. Ces évènements ont donné lieu à une forte médiatisation et les faibles sources d'informations disponibles sur ce sujet amena des historiens à douter de l'existence même de cette secte. Selon eux, les Thugs ne seraient qu'une invention des colonisateurs pour étendre plus rapidement leur contrôle et leur juridiction criminelle...

Aux frontières du réel.

Une librairie bourrée de renseignements utiles

Outre l'utilisation des Thugs pour étayer le scénario (pour la petite histoire, en 1984, le film Indiana Jones et le Temple maudit faisait déjà appel à eux), Microïds a eu la bonne idée de découper l'intrigue en deux parties distinctes : la réalité, où se déroule véritablement l'enquête, et le rêve, avec des énigmes plus difficiles car moins logiques. En fait, ce découpage permet surtout de mettre en avant la dualité qui peut exister entre un pays traditionnel historiquement chargé et une société très moderne, preuve d'une puissance économique non négligeable. Artistiquement, ce contraste se traduit par des effets de flous plutôt réussis pour illustrer les moments oniriques et l'utilisation d'une ambiance sonore ad hoc : musique contemporaine indienne pour le réel, sonorités plus spirituelles pour les rêves.

Une beauté froide ?

Plutôt glauque ce fameux temple de Kali

Cette division du jeu entre le rêve et la réalité donne avant tout l'occasion de dynamiser une forme très classique. En effet, Road to India utilise un moteur semblable à l'Omni 3D cher à Cryo : des décors pré-rendus impeccables et une vue panoramique à 360°. Si cette vision globale place véritablement le joueur au coeur de l'action, elle trahit aussi un univers très statique. Les rues de New Delhi ne contiennent pas la foule que l'on pourrait logiquement espérer y trouver et, plus grave, les paysages parcourus bénéficient d'animations trop rares pour éviter une impression ennuyeuse d'immobilité. Mais attention, malgré ces défauts à imputer plus au moteur utilisé qu'à une éventuelle paresse des développeurs, Road to India possède tout de même beaucoup plus de relief et de charme que n'importe quel jeu d'aventure signé Cryo.

Classique mais efficace.

Une première énigme "neurones-fitness"

Entièrement jouable à la souris, Road to India utilise une interface traditionnelle et très discrète, le curseur changeant de forme en présence des parties interactives du décor (objet, personnage, zoom sur une zone particulière, etc.). Si dans la partie "réalité", ces-dernières sont relativement explicites, dans la partie "rêve", vous n'échapperez pas toujours au jeu du balayage de l'écran pour les repérer. Fred dispose d'un agenda électronique pour gérer son inventaire et tenir un journal de bord (permettant, entre autres, de visionner à nouveau les cinématiques). On est bien loin de toutes les fonctionnalités du Nokia utilisé par l'agent Willmore dans le jeu X-Files, mais cela reste grandement suffisant pour ce style d'aventure. Cet agenda affiche aussi les répliques du héros lorsqu'il dialogue avec un autre personnage.

Trop sérieux.

The méchant of the story

Bien que les développeurs nous aient eux-mêmes déclaré que Road to India s'adressait d'abord à un public de plus de 25 ans, les dialogues et les actions à réaliser restent très politiquement correctes. Fred aime à le rappeler régulièrement : "Je ne veux pas avoir de problème avec la censure". Cette aseptisation générale est d'autant plus dommage que, à elle seule, cette réplique traduit un désir certain de dévier vers le second degré. A n'en pas douter, l'équipe de Road to India aurait certainement souhaité être plus piquante et incisive dans les dialogues ou les situations mais, apparemment, la direction n'était pas du même avis. Une action pourtant anodine (effrayer un mendiant endormi avec un rat...) a d'ailleurs été refusée pour des raisons inconnues et écartée de la version finale.

Il est où le bouillon ?

Rue déserte, dernière cigarette, plus rien ne bouge...

D'autres regrets viennent s'ajouter à ce qu'on pourrait appeler ce calibrage grand public : une utilisation trop discrète des personnages secondaires. Au cours de son enquête, Fred va évidemment être amené à en rencontrer mais ils interviennent uniquement pour le faire progresser. Pas de passants inutiles. Trop d'intervenants peuvent bien sûr entraîner une dispersion du joueur, toutefois quelques rajouts de-ci de-là aurait donné bien plus de vie aux décors. Et malgré leur beauté, l'impression de traverser un pays quasi désertique est tenace. De l'aveu des développeurs, le moteur de Road to India ne permettait pas d'incorporer autant d'animations et de personnages qu'ils l'auraient souhaité. Alors, dans ce cas, pourquoi avoir choisi New Delhi, une ville réputée pour sa population considérable et bouillonnante ?
Les Plus
  • L'Inde très bien mise en valeur
  • Un scénario rebondissant
  • Les graphismes impeccables
  • L'ambiance sonore
  • Un moteur efficace
Les Moins
  • La liberté d'action limitée
  • Le déroulement très linéaire
  • Les rues de New Delhi désertes
  • Des personnages secondaires trop discrets
  • Trop sérieux
Résultat

Avec un scénario exotique dépaysant, des graphismes magnifiques et une linéarité efficace, la cible de Road to India semble évidente : le grand public. Le joueur occasionnel progressera ainsi dans l'aventure avec plaisir et sans trop d'encombres, tandis que la forme apparaîtra probablement un poil trop classique et lisse aux habitués du genre. Mais si Road to India est incontestablement un produit de commande destiné au plus grand nombre, Microïds rend une copie très sympathique et pleine de promesses. La rigueur artistique et la maîtrise technique dont ils font preuve ici ne peuvent pas laisser indifférent, même les joueurs les plus exigeants. Et le charme de l'Inde n'y est sans doute pas totalement étranger.

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