L'odeur de l'oreiller
Sakura Wars est une de ces vieilles gloires du jeu vidéo et, au même titre que les consoles qui l'ont porté à ses débuts, la série est devenue culte. Sega prenait finalement peu de risques en ressuscitant la licence sur son territoire où le jeu était attendu et fut un succès sans surprise. Là où l'éditeur joue gros c'est en le localisant, auréolé d'une belle traduction et d'une campagne publicitaire à toute épreuve, alors même que le jeu est un ogre de contradictions et de contrastes à l'encontre de nos habitudes de jeu occidentales. Alors sortie inconsidérée ou soigneusement préparée ?
L'histoire
Nous sommes en plein dans les années 20 et le monde est en proie à une guerre contre les démons. Les principales capitales mondiales se sont constitué des armées puissantes de pilotes de mecha qui n'hésitent pas à se livrer une bataille d'ego en même temps qu'elles sont chargées de défendre l'humanité. C'est donc dans un contexte complexe entre confrontations politiques, affrontements guerriers, jeux du cirque robotisés que vous vous retrouvez à diriger une armée et à jouer le coach mental d'une troupe de jeunes femmes.
Bien plus complexe qu'il n'y paraît, le scénario fait preuve d'un sacré mérite puisqu'il se compose de plusieurs strates. Une narration politique en toile de fond ample et passionnante à suivre, qui soutient le destin sympathique de cette troupe de théâtre, et une multitude d'histoires intimes, personnelles, alternant entre le sensible et le grotesque, qui sont la marque de ce genre vidéoludique japonais qui nous désespère autant qu'il nous passionne. Les personnages sont des archétypes intéressants, attachants, plutôt bien construits, qu'on aurait envie de voir évoluer mais qui sont constamment ramenés à leur rôle versatile et cliché. Les hommes sont à la fois des pervers qui dominent, et les femmes fragiles et triomphantes.
Le principe
Des graphismes somptueux.
Ce genre de jeux reste d'habitude confidentiel et n'a pas le budget à l'exécution et à l'exportation d'un Sakura Wars. Si la Switch a démocratisé le genre en occident, ce style de jeu est encore confidentiel chez nous et a rarement le privilège d'un test. Évidemment le genre est masculin, son trentième degré fera rire ou pas, un peu comme Nicky Larson avant un coup de massue ou la série des Benny Hill, mais sa sortie est à saluer.
Le tort de Sega est pour un jeu de cette ampleur de ne pas avoir laissé au joueur le choix du sexe du personnage principal et de ne pas proposer des protagonistes mixtes. Le jeu se cantonne, comme dans n'importe quelle production pauvre du genre, à proposer une aventure strictement érotico-masculine grotesque qui tranche avec ses moyens techniques fantastiques, qui donnent l'impression qu'il est un jeu pour tous. En s'ouvrant à d'autres sensibilités, le jeu aurait gagné en finesse et aurait été plus en phase avec ses prétentions de réactualisation de la licence.
Le visual novel
Une ergonomie parfaite.
À l'intérieur du théâtre et de temps en temps en ville, vous allez parler à chaque héroïne pour développer vos relations professionnelles, amicales et sentimentales. Quelques fois la routine sera brisée grâce à quelques missions qu'on vous demandera de remplir : interrogatoires, quêtes Fedex, « cherche et trouve », missions d'observation et de rapidité...
Ce que l'on pourrait reprocher à Sakura Wars c'est qu'avec les moyens qu'il a, il n'essaie jamais de faire exister la moindre cohérence dans les relations qu'il entretient avec les protagonistes. D'un chapitre à un autre, d'un dialogue à un autre, rien de ce qui a été dit ou fait n'imprime les personnages. Les situations attendent qu'on les traverse, sans qu'il ne soit demandé au joueur autre chose que de bien répondre à une question ou de résister à la mise en place d'une scène improbable et coquine ; sans aucune préoccupation pour les relations que le joueur aurait/voudrait, ou pas, créer entre le héros et les héroïnes.
Une relation entretenue avec une fille ne gênera pas le moins du monde une autre : une situation déplacée choquera terriblement une fille et, l'instant d'après, elle vous accueillera à bras ouverts pleine de confidences. Ainsi le joueur peu habitué n'aura que peu de chance de se sentir concerné par les enjeux relationnels et répondra au mieux n'importe quoi pour se marrer un coup, et au pire appuiera mécaniquement sur le bouton X pour passer tous ces bavardages. Et comme ces enjeux représentent 90 % de l'intérêt du jeu, autant être certain que Sakura Wars avec ses graphismes de folie et ses cinématiques agressives ne vous trompera pas.
Par contre, ce qui est très bien fait, c'est que les enjeux posés en début de chapitre se répercutent sur l'univers du jeu et que tout le monde semble concerné par les mêmes préoccupations que vous. Du simple journal qui commente la situation actuelle, aux PNJ qui ont leur point de vue ou vous aident dans vos missions secondaires, tout cela donne une vie et une consistance à un univers superbement réalisé qu'on prend beaucoup de plaisir à traverser.
Les combats
Des scènes pleines d'humour.
Pris comme tels, ils s'intègrent parfaitement au déroulement de l'aventure, venant donner sa cohérence, son élan et sa magnificence à votre troupe de héros : les ennemis en nombre remplissent l'espace et les boss impressionnants et coriaces assurent le spectacle.
À noter tout de même que les arènes du tournoi international donnent quand même un peu de sens au jeu d'action qu'il n'est pas, et les confrontations entre les protagonistes qui se jouent sur ces terrains sont passionnantes et constituent des moments éclatants au dénouement du scénario. Il est dommage que Sega n'ait pas poussé l'idée plus loin pour en faire un véritable mode online à part.
En tout cas, ceux qui s'attendaient à ce que Sega nous offre une simulation à l'Armored Core, ou simplement un beat them all, peuvent faire demi-tour car il n'est même pas à la hauteur du plus mauvais des Musô. Comme dit précédemment, là n'est pas sa cause, Sakura Wars est avant tout un Visuel Novel et non un jeu d'action.
Les graphismes
Ce jeu, vous allez y passer du temps...
Pour qui ?
Une loupe mal située...
Pour ceux qui veulent découvrir le genre du visual novel sentimental, Sakura Wars en est la parfaite porte d'entrée, dont l'apparence extraordinaire aidera à faire passer la pilule de contextes et de situations rigolotes mais datées. Pour les autres, à moins d'être friands de pantsu shōto et de shōnen, fuyez, il n'y a rien pour vous.
L'anecdote
Des personnages charismatiques.
- Super beau, magistralement dessiné
- Des personnages attachants
- Superbe toile de fond
- Qu'il est agréable de flâner
- Un genre à ne pas mettre entre toutes les mains
- Des combats anecdotiques
Ce qu'on pourrait reprocher à Sakura Wars c'est de ne pas être à la hauteur de son emballage : alors qu'on s'attend à une suite cinq étoiles, on se retrouve dans un Love Hotel parfaitement thématisé. Donc pour peu qu'on n'y soit pas venu par hasard et qu'on accepte légèrement ce qu'il a à offrir, Sakura Wars sait irriter autant qu'il charme. Avec ses jolies filles, son contexte politique passionnant, sa vision d'un Japon classieux et intensément spectaculaire, cinématographique et débile, Sakura Wars vous fera passer un agréable moment. Tant pis pour les mécaniques vieillottes, Sakura Wars reste quand même le phénix du genre. Vivement la suite.