Test | 11-11 : Memories Retold
28 déc. 2018

Nous voulons être des vainqueurs

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11-11 : Memories Retold

Il faut croire que Yoan Fanise (le réalisateur du jeu) n'avait pas tout dit avec Soldats Inconnus. 11-11 : Memories Retold revient sur le conflit accompagné d'un nouveau moteur graphique. Si dans le fond les intentions restent les mêmes, dans la forme 11-11 : Memories Retold délaisse la bande dessinée belge pour un réalisme impressionniste implacable. Vous en reviendrez sidéré par l'effroi, la beauté et l'intelligence d'une aventure souveraine.

L'histoire

La bande dessinée permettait d'engager une multitude de personnages qu'ici le récit ne met pas en scène. Vous n'incarnerez que deux personnages : un Canadien qui s'engage pour séduire sa belle et un allemand qui cherche son fils, parti au front et dont il n'a plus de nouvelles. Rapidement le récit entrechoque ces deux vies à jamais.

Il n'est pas exactement question de la guerre, mais plutôt de montrer les strates d'une vie prise à l'intérieur de ce conflit. La vie d'avant, en réserve, en permission, au front, lorsque l'on est prisonnier, lorsque l'on retourne chez soi, la reconstruction et la vie d'après. La guerre n'est ici qu'un enfer que les personnages traversent et qui ne les retient pas.

Le récit de 11-11 : Memories Retold est éblouissant, l'écriture est au cordeau, il n'y a rien d'inutile. Chaque scène, chaque action, chaque mot trouve dans le déroulement du récit sa finalité et sa correspondance immédiate ou lointaine qui servent à illustrer les destins écrits par leurs actions.
Il n'est pas exactement question de la guerre

Le principe

L'importance des jeux pendant la guerre.

La grande originalité du récit est de ne pas donner à ces héros des armes, mais des instruments de sens.

Le canadien est photographe et cherche la renommée internationale. L'allemand mène l'enquête, ses fonctions seront d'interroger sur son fils et d'endosser le rôle d'espion dans les tranchées, stéthoscope collé aux parois. C'est donc une lecture poétique, sensible de cette guerre qui s'attache à faire du joueur un artiste ou un reporter plutôt qu'un tueur. Vous serez sur un champ de bataille pour prendre des photos, pour écouter les autres, pour rendre service à ceux qui en ont besoin. 11-11 : Memories Retold est un tour de force, qui se débarrasse d'une jouabilité de jeu de tir et impose la construction d'un récit militaire par des actes et des gestes paisibles, dont les répercussions se distillent jusqu'à la magistrale conclusion finale.

Ce sont des petits riens qui finalement importent peu : interroger, prendre une photo, réparer une radio, apporter de l'eau ou trancher du pain. Des moments symboliques, qui n'ont pas pour objectif d'être des défis mais des balises d'expérience pour vous marquer et vous imprégner d'une urgence, d'un état d'âme, de votre place au cœur d'un monde. Comme ces chapitres qui se terminent parfois sur une lettre à écrire et dont vous pouvez déterminer la teneur en rappelant les événements vécus. Vous en ferez des croyances (positives ou négatives) que vous transmettrez à vos familiers.
Une lecture poétique, sensible de cette guerre

Les graphismes

Des animaux aux rôles essentiels.

Le travail technique effectué par Aardman Animations est spectaculaire, une prouesse visuelle. Vous êtes littéralement projeté à l'intérieur d'un tableau impressionniste vibrant, aux touches fugaces et grouillantes. Les couleurs semblent prises d'une oscillation folle, dérangeante qui sied à merveille au contexte. Dans les espaces clos, décors et personnages prennent des allures d'amas hideux et de gueules cassées. Dans les espaces ouverts ou en extérieur, c'est renversant, d'une beauté absolue, vous en restez sans voix.
D'une beauté absolue, vous en resterez sans voix

Pour qui ?

Des paysages d'une grande beauté.

11-11 : Memories Retold est une expérience, un livre d'image en pop-up qui vous permet de tirer les languettes, de tourner la roue et d'écrire votre propre lettre insérée dans une des pochettes de fin de chapitre. Attention ce n'est en rien péjoratif, bien au contraire. Magistralement exécuté, 11-11 : Memories Retold est une pièce d'orfèvrerie, de la broderie sur papier, le rêve fou d'un peintre impressionniste. Il se prête sans doute moins bien au travail de pédagogie scolaire et c'est tant mieux. Œuvre intime, il s'adresse aux sensibles, aux amoureux d'art.
Il s'adresse aux sensibles

L'anecdote

Un travail incroyable sur les effets de profondeur, de lumière.

Lorsque la Première Guerre éclate, l'impressionnisme n'est déjà qu'un souvenir. Le cubisme, son mouvement artistique contemporain, n'a pas bien su peindre cette guerre, ses problématiques étaient ailleurs. Comment peindre encore dans un monde de photographie et de cinéma ? Comment peindre autrement qu'en évitant de singer la réalité ?

Il est incongru qu'un style pictural qui peignait la tranquillité d'une vie parisienne soit à ce point capable de peindre la guerre et les tranchées. D'autant plus drôle qu'il faille passer par la peinture moderne pour raconter la Grande Guerre, comme si les images d'aujourd'hui n'étaient plus adaptées, vidées de sens.
Comme si les images d'aujourd'hui étaient malpropres
Les Plus
  • Scénario puissant
  • Graphismes époustouflants
  • Des choix qui importent réellement
Les Moins
  • Des interactions, plus qu'une jouabilité
Résultat

Il y a des œuvres pour lesquelles on a envie de se battre fort. 11-11 : Memories Retold est de celles-là, non pas parce qu'elle aborde un sujet important, mais parce qu'on y ressent un amour immodéré pour les joueurs, pour le jeu vidéo, pour la matière artistique qu'elle soit picturale, narrative ou ludique. 11-11 : Memories Retold est un chef-d'œuvre.

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