Test | The Witcher : Il était une fois dans l'Est
19 janv. 2008

Testé par Floralie sur
The Witcher
  • Éditeur Atari
  • Développeur CDProjekt
  • Sortie initiale 26 oct. 2007
  • Genre Rôle

Le renouveau du jeu PC viendrait-il de l'Est ? Après les coups d'éclat des Allemands de Crytek et de Pyranha Bytes, et des Ukrainiens de GSC Game World, voici que le studio polonais CDProjekt nous gratifie du RPG le plus rafraîchissant de ces dernières années. A l'opposé de la démarche libertaire d'un Oblivion, The Witcher est une aventure scénarisée dans l'univers réaliste et adulte de l'écrivain Andrzej Sapkowski. Un retour aux sources couplé d'un vent nouveau sur le genre.

Une alternative à la fantasy classique

Même si vous n'avez pas lu l'œuvre de l'écrivain polonais Andrzej Sapkowski, l'extrait proposé au début de la notice de The Witcher suffit à vous convaincre de la rudesse d'un univers adulte, violent et sans concession, plus proche de la fureur barbare d'un Moorcock que de la fantaisie bon enfant d'un Tolkien. Pour preuve : les villes sont sales et malfamées, elles grouillent de mendiants, de pestiférés et de prostituées. Les marchands sont vénaux, les gardes corrompus, les prêtres fanatiques. Quoique réaliste, l'univers n'est pas dénué de races "fantastiques" (elfes, nains, dryades...) ; mais le racisme des humains à leur égard les condamne à se rassembler dans des ghettos, et à se livrer à des actes de terrorisme pour revendiquer leurs droits. Ce cadre peu enchanteur est celui dans lequel vous, Géralt de Rives, intervenez. Vous êtes un sorceleur (traduction française de witcher), un combattant génétiquement modifié par l'alchimie (d'où vos cheveux blancs) et qui maîtrise les arts de la magie. Comme vous l'apprend la superbe cinématique d'introduction, les sorceleurs sont spécialisés dans l'éradication des créatures surnaturelles maléfiques (goules, loups-garous...). Malgré leur utilité, ils sont mis à l'écart par la population, qui les rejette surtout parce qu'elles les craint. Les sorceleurs sont donc cloîtrés dans un château isolé qui, dès le début du jeu, est victime d'un assaut. Les quelques survivants, dont vous faites partie, ont à cœur d'en retrouver les commanditaires, qui en ont profité pour s'emparer d'un matériel alchimique très important. Chacun part dans sa direction, la vôtre étant la ville de Wyzyma et ses faubourgs, au milieu des marais et des forêts environnantes. Tout au long de votre aventure, vous devez interagir avec la population locale afin de progresser dans votre enquête. La plupart des gens n'acceptent de vous aider qu'en échange d'un service, vos talents de sorceleur étant très courtisés.

La liberté dans la contrainte

Vous vous habituez vite à l'impossibilité de sortir des sentiers battus.

Le parti pris des développeurs de CDProjekt est de ne pas surfer sur l'engouement pour les RPG libertaires (Gothic 3, Oblivion, Two Worlds), mais au contraire de revenir à des bases plus classiques, à savoir plus scénarisées et forcément plus linéaires. Pour exemple, il n'y a pas de création de personnage dans The Witcher. Vous incarnez Géralt et restez donc tributaire de son passé, de sa personnalité et de ses états d'âmes. Néanmoins, cela ne revient pas à vous priver de tout libre-arbitre : à plusieurs reprises, vous avez à effectuer des choix importants (mais jamais manichéens) qui auront des répercussions bien plus tard sur la suite de votre aventure. Ce système de conséquences à long terme est original et très astucieux. Il évite en outre toute tentation de sauvegarde avant le choix fatidique : The Witcher met à l'épreuve vos vieux réflexes de routier du RPG ! Autre conséquence de la scénarisation importante du jeu : vous ne pouvez pas quitter les faubourgs de Wyzyma, où vous débutez votre enquête, avant d'avoir résolu la sombre affaire qui s'y trame. Ce n'est que plus tard que vous aurez accès à la ville, puis aux marais... Cette linéarité n'empêche pas la présence de nombreuses quêtes secondaires, qui réussissent le tour de force de se révéler plus intéressantes les unes que les autres. En effet, incarner un personnage si typé, un sorceleur, conduit les PNJs à vous confier des quêtes en relation directe avec vos talents, et qui vous impliquent davantage qu'aller chercher un objet lambda au fin fond d'un donjon. Certaines quêtes secondaires sont même consacrées au penchant prononcé de Géralt pour la gente féminine, chacune de vos succès vous octroyant une carte érotique ! Bref, ce que vous perdez en liberté, vous le gagnez en immersion et en roleplay, un peu à l'image d'un Baldur's Gate II.

L’homme-orchestre de Wyzyma

Géralt et ses deux épées dans le dos : l'une pour les humanoïdes, l'autre pour les monstres.

L'évolution de votre personnage est elle aussi quelque peu atypique. Géralt ne possède pas de de statistiques, mais progresse en acquérant régulièrement des points de compétences (bronze, argent ou or). Vous pouvez dépenser ces points dans le domaine que vous souhaitez. A savoir : les capacités de base (force, dextérité, endurance, intelligence), ou bien les styles de combat (trois sont disponibles, dans deux spécialisations différentes), ou encore les "signes", pouvoirs magiques que Géralt apprend à maîtriser tout au long de l'aventure. Les compétences sont vraiment très nombreuses, et leur variété autorise une personnalisation poussée de votre héros. Pour obtenir ces fameux points de compétence, c'est bien plus classique : quêtes et combats sont comme de coutume les deux nerfs de la guerre. A noter que Géralt maîtrise aussi l'alchimie, qui lui permet de confectionner des potions d'utilités diverses (se soigner, voir dans le noir, augmenter ses réflexes). Les trois niveaux de difficulté de The Witcher sont d'ailleurs directement basés sur l'utilisation de l'alchimie : optionnelle en mode facile, elle devient vitale en mode difficile. Géralt peut récolter les ingrédients nécessaires sur les plantes et sur les cadavres de ses ennemis. Il ne pourra cependant le faire qu'après avoir lu des livres sur le sujet, ou acquis certaines compétences. En fait, vous vous apercevez rapidement que sous ses airs de jeu simple, The Witcher regorge de possibilités. La présence d'un glossaire très complet répertoriant quêtes, lieux, PNJs... n'est pas la moindre. Il y a juste à déplorer un inventaire pas très pratique, car pourvu de slots minuscules. D'un autre côté, tous les objets qui peuvent être ramassés par Géralt sont petits : pas question de transporter une hache à deux mains ou des morceaux d'armure dans son sac. The Witcher est un jeu réaliste !

Un hack’n slash intelligent

Les combats sont dynamiques et violents.

Réalistes, les affrontements le sont tout autant. Ils ont de prime abord des allures de hack'n slash, vu qu'il suffit de cliquer sur un monstre pour le tuer. Mais CDProjekt a inventé le click intelligent, au cœur d'un système de combat inédit sur PC : il s'agit de respecter un certain timing entre un click et le suivant (aidé en cela par la forme que prend le curseur) afin d'exécuter des enchaînements de coups de plus en plus incisifs. Ces combinaisons meurtrières s'achèvent souvent par un finish violent et jubilatoire, dans lequel Géralt fait ressortir toute sa fureur animale. Combinés à une utilisation possible de la magie (les "signes") et à quelques mouvements d'esquive superbement animés, les combats de The Witcher sont dynamiques et intéressants. Certes, ils n'échappent pas aux répétitions propre au genre, mais leur nombre et leur difficulté sont savamment dosés pour éviter tout sentiment de lassitude. En outre, ils sont l'occasion de jongler entre plusieurs styles différents, en fonction du nombre et du type d'adversaires rencontrés. Vous n'affrontez pas de la même façon un groupe de brigands qui vous encerclent, et une créature surnaturelle de trois mètres de haut qui vous attaque à distance. Les développeurs en ont tenu compte, et avant d'entreprendre le moindre combat, vous devez réfléchir à l'arme que vous allez utiliser et au style que vous allez activer. Cela procure une petite touche stratégique aux affrontements. Et vous vous retrouvez au final avec un des systèmes de combat les plus originaux que vous ayez vus depuis bien longtemps dans un RPG ; déroutant à plus d'un titre, mais d'une profondeur indéniable.

Un univers de toute beauté

Les personnages agissent en temps réel et rentrent chez eux à la tombée de la nuit.

Géralt ayant un physique et une personnalité marqués, les développeurs ont logiquement opté pour la vue à la troisième personne, la plus à même de renforcer l'aspect narratif de leur titre. La caméra légèrement décalée sur le côté (comme dans Resident Evil 4) permet de ne rien manquer de l'action et confère un vrai style cinématographique à The Witcher. Vous pouvez néanmoins basculer à tout moment sur deux autres types de visualisation. La plus éloignée procure une vue globale de l'action où vous ne déplacez plus Géralt à l'aide des touches directionnelles, mais en cliquant sur le terrain à la manière d'un hack'n slash. De quoi varier les sensations de jeu. Par contre, quel que soit le type de représentation choisi, Géralt ne peut pas sauter, ce qui restreint votre liberté de mouvement et cloisonne votre terrain de jeu. Mais il est aussi possible de prendre le problème à l'envers : si on vous empêche d'aller gambader dans les champs qui s'étendent à perte de vue derrière ces satanées barrières... c'est peut-être parce qu'il n'y a pas grand-chose d'intéressant, et que la richesse de The Witcher est ailleurs ! Par contre, difficile de justifier qu'un simple muret de quelques centimètres de haut ne puisse être franchi autrement qu'en le contournant : cette limitation inhérente au moteur de jeu "Aurora" peut agacer. Heureusement, il est bien difficile de reconnaître le moteur de NeverWinter Nights 2 derrière la beauté saisissante des graphismes de The Witcher. Les personnages, visibles en gros plan lors des dialogues, sont superbement modélisés, et font plus que jamais regretter la présence de clones qui viennent nuire au sentiment de réalisme et d'immersion. Les environnements de jeu, dont l'architecture et la palette de couleurs évoquent l'Europe de l'Est, sont superbes et bénéficient d'une bonne profondeur de champ. Les graphistes ont visiblement privilégié la finesse des décors sur la qualité des textures et le rendu est excellent, magnifié par un cycle jour/nuit et des effets de météo très réussis. Bref, le jeu possède un vrai cachet esthétique.

Immersion totale

Cette charmante jeune femme vous offre ses services.

Ce qui est appréciable, c'est que cette qualité graphique n'est pas lisse : elle est mise au service d'un univers vivant et glauque. Géralt lui-même n'a rien de l'archétype du héros médiéval fantastique classique : il peut se saouler, se laisser aller à la luxure, ou encore dire des gros mots. Les personnages que vous croisez se parlent, rentrent et sortent de chez eux, s'abritent en cas de pluie. Ils pètent, rotent, vous insultent ou vous narguent, vous menacent, vous mentent, vous draguent... Il est dommage que les dialogues soient parfois si décousus, et que la traduction française, comme le doublage, laissent à désirer. Au niveau sonore, cependant, c'est vraiment un sans-faute. L'ambiance nocturne dans la campagne, avec les grattements de monstres et le hululement des chouettes, laisse la place aux rumeurs citadines ou à l'écho guttural des égouts. Et que dire de la musique absolument superbe, qui porte littéralement le jeu : mêlant nappes synthétiques, violons, guitares tziganes et voix féminines, alignant des mélodies très travaillées collant tout à fait à l'ambiance du jeu, elle apporte un plus atmosphérique indéniable à un jeu déjà largement pourvu. Dernier point qui atteste du degré de finition de l'ensemble au niveau artistique : les écrans de chargement s'accompagnent de splendides visuels de gouaches reprenant les environnements du jeu. Il est cependant regrettable que vous soyez forcé de les admirer si souvent, les chargements étant beaucoup trop nombreux et beaucoup trop longs. Nul doute qu'un prochain patch devrait venir régler cela, de même que l'instabilité du jeu sous Vista.
Les Plus
  • L'univers réaliste et immersif
  • Le charisme du personnage principal
  • Le scénario profond et adulte
  • Le système de combat inédit
  • La réalisation somptueuse
Les Moins
  • De trop nombreux clones
  • L'inventaire perfectible
  • Certains dialogues décousus, voire incompréhensibles
  • Les chargements trop longs et trop fréquents
Résultat

The Witcher s'établit sans peine comme la nouvelle référence du jeu de rôle sur PC. Son univers réaliste et décadent, son gameplay atypique et sa réalisation splendide devraient lui assurer un succès bien mérité au vu de l'effort des développeurs pour renouveler le genre. La grande force de The Witcher est qu'il ne répond pas aux attentes d'un public, mais qu'il a su se réapproprier les codes d'un genre moribond pour les sublimer à travers une œuvre d'auteur ambitieuse et cohérente. Atari tient là une poule aux œufs d'or qu'il ne serait pas surprenant de voir pondre une nouvelle merveille dans les années à venir. En attendant, beaucoup se satisferont d'un patch, qui devrait venir régler les petits défauts de ce titre d'exception.

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